DOI: https://dx.doi.org/10.12795/rea.2025.i49.01
Formato de cita / Citation: Azagouagh, K. (2025). Study of the impact of climate change on water resources in the Prerif mountains (Morocco). Revista de Estudios Andaluces,(49), 8-24. https://dx.doi.org/10.12795/rea.2025.i49.01
Correspondencia autor: kawtarazagouagh@hotmail.fr (Kawtar Azagouagh)
Kawtar Azagouagh
kawtarazagouagh@hotmail.fr 0009-0000-3571-2006
Milieux naturels, Aménagement et Dynamiques Socio-spatiales.
Département de Géographie, FLSH Sais Fès USMBA. CP 30000, Maroc.
INFO ARTÍCULO |
RESUMEN |
|
A reçu: 18-11-2023 Revu: 26-04-2024 Accepté: 23-05-2024 MOTS CLÉS Changements climatiques Prérif Sécheresses récurrentes Ressources en eau |
Les changements climatiques impactent de façon significative la disponibilité des ressources en eau: ce qui entraine un dérèglement des régimes naturels saisonniers des cours d’eau ainsi que la réduction de la capacité de stockage au niveau des nappes et des retenus des barrages. Le Maroc, en raison de sa position géographique au sein du bassin méditerranéen, est l’un des pays les plus vulnérables aux variabilités du climat. Dans les montagnes du Prérif, les sécheresses climatiques et par conséquent hydrologiques pendant les dernières décennies, ont eu des conséquences dramatiques non seulement sur les rendements agricoles, mais aussi sur l’environnement physique et humain. Elles se sont traduites par une aridification de ces milieux, ainsi que par un manque sévère de la ressource en eau au cœur de la saison humide. En matière d’analyse des périodes sèches, ayant un impact très négatif sur l’environnement prérifain, il parait bien évident que les sécheresses récurrentes qui ont sévit dans la région depuis les années 80 sont marquées par une intensité qui montre essentiellement un aspect cumulatif et récurrent des années très déficitaire. De plus, des séquences sèches mensuelles ont été détectées, notamment entre 1998 et 2001 avec une séquence de 30 mois secs et entre 2007 et 2008 avec une séquence de 24 mois secs. De même, les sécheresses absolues intercalaires au cours de l’année agricole, alors assez fréquentes, reflètent une perturbation des rythmes saisonniers. Ainsi, l’épuisement de la ressource en eau, dans l’ensemble de la région, s’est traduit par une réduction flagrante des débits des sources et des cours d’eau: voire un tarissement total de certaines sources. Le présent papier se propose d’étudier, en se basant sur l’analyse des indicateurs météorologiques et hydrologiques, les tendances à la baisse de la pluviométrie et par conséquent la réduction flagrante de la ressource en eau et ses conséquences sur l’environnement physique et humain de cette zone de la montagne rifaine. L’approche adoptée se base sur une analyse décennale des données pluviométriques et hydrologiques des différentes stations de la région (recherche de tendance et de cycle) ainsi que sur l’utilisation de l’Indice Standardisé de Précipitation (SPI) et l’analyse des situations météorologiques à 500 hPa. |
|
KEYWORDS |
ABSTRACT |
|
Climate change Prerif Recurrent droughts Water resources |
Climate change has a significant impact on the availability of water resources; which leads to a disruption of the natural seasonal regimes of watercourses as well as the reduction of the storage capacity at the level of the groundwater and the reservoirs of the dams. Morocco, due to its geographical position within the Mediterranean basin, is one of the countries most vulnerable to climate variability. In the Prérif mountains, climatic and therefore hydrological droughts during the last decades have had dramatic consequences not only on agricultural yields, but also on the physical and human environment. They have resulted in aridification of these environments, as well as a severe lack of water resources. In terms of the analysis of dry periods, which have a very negative impact on the pre-Rifan environment, it seems quite obvious that the recurrent droughts which have raged in the region since the 1980s are marked by an intensity which essentially shows a cumulative aspect and recurring in very deficient years. They are characterized by very low drought indices. Additionally, monthly dry sequences were detected, notably between 1998 and 2001 with a sequence of 30 dry months and between 2007 and 2008 with a sequence of 24 dry months. Similarly, intercalary absolute droughts during the agricultural year, which were quite frequent at the time, reflect a disruption of seasonal rhythms. Thus, the depletion of water resources throughout the region has resulted in a flagrant reduction in the flow of springs and rivers; even a total drying up of certain sources. This paper proposes to study, based on the analysis of meteorological and hydrological indicators, the downward trends in rainfall and consequently the flagrant reduction of water resources and its consequences on the physical and human environments of this rifan area. The approach adopted is based on an analysis of rainfall and hydrological data from the various stations in the region (research for trends and cycles) as well as on the use of the Standardized Precipitation Index (SPI) and the analysis of meteorological situations at 500 hPa. |
|
PALABRAS CLAVE |
RESUMEN |
|
Cambio climático Prérif Sequías recurrentes Recursos hídricos |
El cambio climático impacta significativamente la disponibilidad de recursos hídricos; lo que conduce a una alteración de los regímenes estacionales naturales de los cursos de agua, así como a una reducción de la capacidad de almacenamiento de los acuíferos y embalses. Marruecos, por su posición geográfica dentro de la cuenca mediterránea, es uno de los países más vulnerables a la variabilidad climática. En las montañas del Prérif, las sequías climáticas y, por tanto, hidrológicas de las últimas décadas han tenido consecuencias dramáticas no sólo en los rendimientos agrícolas, sino también en el medio ambiente físico y humano. Han provocado también una aridificación de estos entornos, así como una grave falta de recursos hídricos en plena estación húmeda. En cuanto al análisis de los períodos secos, que tienen un impacto muy negativo sobre el medio ambiente pre-rifeño, parece evidente que las sequías recurrentes que conoce la región desde los años 1980 están marcadas por una intensidad que muestra esencialmente años acumulativos y recurrentes muy muy deficitarios. Además, se detectaron secuencias secas mensuales, especialmente entre 1998 y 2001 con una secuencia de 30 meses secos y entre 2007 y 2008 con una secuencia de 24 meses secos. Asimismo, las sequías intercalares absolutas durante el año agrícola, entonces bastante frecuentes, reflejan una alteración de los ritmos estacionales. Así, el agotamiento de los recursos hídricos en toda la región ha resultado en una flagrante reducción del caudal de manantiales y ríos; o incluso un agotamiento total de determinadas fuentes. Este trabajo pretende estudiar, a partir del análisis de indicadores meteorológicos e hidrológicos, las tendencias a la baja de las precipitaciones y en consecuencia la flagrante reducción de los recursos hídricos y sus consecuencias sobre el bienestar físico y humano de esta zona de la sierra rifeña. El enfoque adoptado se basa en un análisis decenal de datos pluviométricos e hidrológicos de las distintas estaciones de la región (búsqueda de tendencias y ciclos), así como en el uso del Índice Estandarizado de Precipitaciones (SPI) y el análisis de situaciones meteorológicas. a 500 hPa. |
Les changements climatiques présentent d’importants risques environnementaux. A l’échelle mondiale, les changements climatiques ont un impact considérable sur les ressources en eau, avec des phénomènes tels que l’assèchement des zones humides, la fonte des glaciers et la modification des régimes de précipitations. Cette tendance est également observable à l’échelle régionale, notamment dans le bassin méditerranéen, où les variations climatiques influent sur la disponibilité et la qualité de l’eau. Au Maroc, ces changements climatiques ont des répercussions particulières en raison de la géographie et de la structure de son économie dépendante de l’agriculture. Les enjeux associés à ces changements touchent plusieurs domaines, notamment l’accès aux ressources en eau, qui sont déjà très limitées: elles sont estimées à 20 milliards de mètres cubes, soit une moyenne de 700 m3 par an par habitant, ce qui témoigne d’une situation alarmante de déficit hydrique assez élevé (Ouhamdouch et al., 2023). De récentes recherches menées au Maroc s’accordent sur : une récurrence des années déficitaires et une intensification des contrastes saisonniers sur la majorité du territoire national, ayant pour conséquence un manque flagrant de la ressource en eau (Tribak, 2020).
Les montagnes du Prérif ont été confrontées à des problèmes environnementaux majeurs dus aux sécheresses récurrentes survenues à partir des années 80. Ces événements ont eu des conséquences dévastatrices sur l’écosystème agropastoral et ont directement impacté la stabilité des populations locales. Les sécheresses climatiques et hydrologiques ont entraîné une pénurie d’eau sévère, avec des répercussions dramatiques sur l’environnement physique et humain, notamment des migrations massives des habitants vers les villes avoisinantes. Cette étude vise à examiner en profondeur les sécheresses récurrentes exceptionnelles qui ont frappé les montagnes du Prérif depuis les années 80, en analysant les données météorologiques et hydrologiques pour comprendre les tendances à la baisse de la pluviométrie et la diminution conséquente de la ressource en eau.
L’objectif principal de cette étude est d’analyser les impacts des changements climatiques sur la disponibilité en eau dans les montagnes du Prérif au Maroc. En plus, cette recherche contribue de manière significative à la connaissance scientifique en proposant une méthodologie novatrice basée sur l’intégration de données climatiques, hydrologiques et géospatiales. Ces approches intégrées permettent une compréhension approfondie des dynamiques hydroclimatiques dans la région, ce qui est essentiel pour élaborer des stratégies de gestion durable de l’eau face aux défis posés par le changement climatique.
La zone d’étude dans les montagnes du Prérif a été sélectionnée en fonction de plusieurs critères essentiels. Tout d’abord, cette région a été identifiée comme l’une des plus vulnérables aux changements climatiques, notamment en ce qui concerne les sécheresses récurrentes et la diminution de la ressource en eau. Cette vulnérabilité accrue en fait un cas d’étude pertinent pour comprendre les impacts concrets du changement climatique sur l’environnement et les populations locales. De plus, la zone d’étude est particulièrement intéressante car elle est reconnue comme étant la principale source de migration vers la ville de Fès. Cette dynamique migratoire est significative car elle reflète les pressions socio-économiques et environnementales auxquelles la région est confrontée, offrant ainsi un contexte riche pour étudier les interactions complexes entre les facteurs climatiques, les changements démographiques et les dynamiques urbaines.
Le domaine Prérifain se situe à l’extrémité externe de la chaine rifaine. Il est bordé par la plaine du Gharb à l’Ouest et le bassin du Moulouya à l’Est, au Nord, par la vallée centrale de l’Oued Ouergha et vers le Sud par le plateau de Sais (carte 1).
Carte 1. Situation géographique de la zone Prérifaine. Source: élaboration propre.
Le Prérif constitue la partie méridionale du sillon externe de la chaîne du Rif. L’évolution géomorphologique de ce domaine au cours du quaternaire est caractérisée par l’incision et l’encaissement des vallées dans les formations tendres. Cette situation a abouti à des dénivelés très importants entre les fonds des vallées et les sommets de collines. (El Gerouani et al., 2003). La lithologie est très complexe, en raison du charriage des nappes d’origine mésorifaines représentées par la prédominance de matériaux tendres (Avenard, 1962). Ces nappes sont constituées de marnes et argiles du Crétacé, de l’Eocène et du Miocène associées parfois à des gisements gypseux et salifères triasiques sous forme de diapirs.
Le climat dans l’ensemble de la région s’inscrit dans un contexte continentale, marqué par l’agressivité des contrastes climatiques et par l’irrégularité des précipitations. La comparaison des données des précipitations annuelles des différentes stations indique que la pluviosité est marquée par une grande variabilité inter et intra annuelle marquante (Azagouagh, 2022). Les précipitations moyennes annuelles connaissent une variabilité interannuelle et saisonnière considérable (entre 390 mm et 740 mm). Néanmoins, elles sont généralement brutales et se concentrent en quelques jours de la saison hivernale, où un maximum très accentué se situe en novembre, décembre et janvier. Par contre, les mois de juin, juillet et aout sont les plus secs.
La carte hypsométrique (carte 2) met en évidence que les collines du Prérif sont principalement caractérisées par leurs altitudes relativement basses. Environ 33.43% de la région présente des altitudes inférieures à 200 mètres. Les altitudes situées entre 200 et 300 mètres couvrent 21.54% de la surface totale. En progressant vers l’est, les reliefs s’élèvent progressivement: les altitudes moyennes (entre 300 et 400 mètres) représentent 15.74% de la région. Dans la classe des altitudes entre 400 et 500 mètres, la surface couverte diminue considérablement, ne représentant que 5.22%. Les reliefs deviennent plus escarpés en se rapprochant du couloir de Taza, où les altitudes entre 500 et 600 mètres dominent 4.85% de la superficie prérifaine. Les altitudes plus élevées, entre 600 et 700 mètres, couvrent 8.71% de la région, tandis que celles dépassant les 700 mètres représentent 10.51% de la surface, en augmentant vers l’est de la région. Dans un point de vue géologique, la zone prérifaine constitue la partie méridionale du sillon externe de la chaine Rifaine. La formation de cette zone est très complexe (El Bakouri et al.,2018). Cette complexité est due principalement « à la structure tectonique en écailles et nappes de charriage que des variations rapides de faciès des séries secondaires et tertiaires tant dans le sens vertical qu’horizontal » (Ressource en eau, Tome I. 1971), et correspond aux roches les plus proximales de la paléo marge africaine (Achalhi, 2016). Le substrat couvrant la zone Prérifaine est formé essentiellement en roches très fragiles et meubles et représentent 60% de la superficie (Avenard,1962). Elles sont constituées de marnes et argiles du Crétacé, Eocène et Miocène, avec une représentation importante du Trias. Les formations composées de calcaire et du grès solide se retrouvent au niveau de certains sommets et à la rive gauche d’Oued Ouergha, ou sous forme des collines avec une altitude entre 500 m et 1000 m.
Carte 2. Répartition des tranches d’altitude de la zone Prérifaine. Source: élaboration propre.
Sur le plan hydrologique, la zone prérifaine est drainée par une multitude d’oueds importants (Sra, sahla, Amzaz, Aoulay…). Ce réseau est caractérisé par un régime hydrologique connu par son irrégularité qui est tributaire d’une pluviométrie irrégulière et souvent violente. Il dispose de deux grands barrages (Idriss 1er et Al Wahda) de deux moyens barrages au Nord (Sahla et Bouhouda) de 2 petits barrages (Essaf, jorf Laghrab) et de 5 lacs collinaires. Il est important de noter que ces ressources jouent un rôle significatif dans la région environnante, même si elles ne sont pas directement situées dans la zone d’étude.
Sur le plan démographique, il est à noter que le Prérif constitue généralement un important foyer de peuplement presque totalement rural. L’installation humaine s’y observe partout, et l’habitat y est très dispersé avec des agglomérations moins importantes (Taounate, Tissa et Kariat-Ba-Mohamed). La base économique y est relativement moins diversifiée; elle repose principalement sur la céréaliculture avec des compléments d’élevage et d’arboriculture. Il s’agit d’un milieu qui enregistre encore de fortes densités humaines malgré les mouvements migratoires qui s’accentuent pendant les dernières décennies. Les données relatives à l’évolution de la population entre 1982 – 2014 montrent effectivement qu’une phase de déprise rurale atteint déjà un grand nombre de communes rurales qui deviennent de plus en plus répulsives. Ainsi, le taux d’accroissement annuel est généralement faible voire négatif pour certaines communes de la région pour la période 1982–2014; tel est le cas pour les communes de Mkansa, Ouled Chrif, Taifa, Ain Legdah, Outabouabane, Ras el Oued et Beni Frassene (Azagouagh, 202; Azagough et al., 2022). Cette cadence du taux d’accroissement annuel généralement faible à négatif constitue une alerte à un dépeuplement de ces régions qui deviennent répulsives pendant les dernières décennies caractérisées par des sécheresses récurrentes et des pénuries en eau.
Dans cette étude, nous avons adopté une approche basée sur l’utilisation de données climatiques provenant de stations météorologiques situées dans la zone prérifaine. Les données ont été recueillies des stations d’Ain Aicha (1981-2018), M’Jaara (1956-2012), et Taza (1970-2018). De plus, des données climatiques complémentaires ont été extraites de références bibliographiques telles que les travaux de (Tribak, 2000; 2002; 2007; 2012), Nejjari (2005) et Azagouagh (2021). L’exploitation de ces données a été centrée sur la caractérisation des précipitations, mettant en évidence leur évolution et une tendance marquée à la sécheresse depuis les années 80. Nous avons également examiné en détail les périodes de sécheresses extrêmes, identifiées comme des facteurs déterminants de l’instabilité des populations rurales. Pour évaluer la gravité des carences en ressources en eau, nous avons utilisé les données hydrologiques des stations de Bab Merzouka (41 ans d’observations) et Bab Wender (60 ans d’observations).
Pour définir les phases de sécheresses et l’extension de la saison sèche, nous avons appliqué la méthode de l’Indice Standardisé de Précipitation (ISP) pour les données pluviométriques, ainsi que les courbes ombrothermiques (indice de Gaussen). L’analyse des situations temporelles s’est appuyée sur les cartes météorologiques du site allemand www.Wetter3.de, permettant de suivre l’évolution des situations anticycloniques pendant la saison hivernale. Nous avons sélectionné des situations synoptiques en fonction de leur occurrence pendant les mois pluvieux (Janvier, Février, etc.) et leur durée prolongée parfois jusqu’à quatre semaines. L’analyse s’est concentrée sur des situations à une hauteur géopotentielle de 500 hPa, reflétant la persistance de hautes pressions sur le Maroc, généralement liée à l’anticyclone des Açores et créant une barrière aérienne contre les perturbations polaires.
En outre, nous avons utilisé des données statistiques des archives du Haut-Commissariat au Plan (HCP) et exploité les données d’un questionnaire auprès des habitants des Douars Prérifains (Boujemaa, Bouchala et Bouhcina). Cette enquête avait pour objectif de détecter les variations du système agropastoral, d’évaluer les conditions de vie de la population, et d’analyser l’impact des interventions étatiques dans ce domaine.
Comme toutes les régions du Maroc, la sécheresse dans la zone prérifaine apparait d’une manière récurrente suite à un manque ou baisse de la pluviométrie. Les années 1980 sont marquées par des cumuls pluviométriques annuels en dessous à la normale généralement au Prérif. Malgré les sécheresses récurrentes qui ont caractérisé les dernières décennies, certaines années restent largement humides avec des pluies torrentielles occasionnelles qui rejettent de grandes quantités d’eau sur de courtes périodes. En effet, l’analyse des séries pluviométriques annuelles montre qu’à partir des années 80 jusqu’en 1995, la zone a connu une succession d’épisodes pluviométriques excédentaires et déficitaires par rapport à la normale. L’année 1994-1995 est la plus sévère, où les quantités des précipitations annuelles enregistrées sont parmi les plus faibles, avec 241 mm à Taza, 285 mm à Ain Aicha et 289 mm à Mjaara Azagouagh (2021). De même, le déficit pluviométrique durant cette année par rapport à la normale dépasse le seuil de 40%; avec 46,6% pour la station de Taza (Belkhiri et al., 1987; Tribak, 2019).
L’étude de l’évolution annuelle des pluies depuis 1932 montre le caractère très irrégulier de la pluviométrie dans la zone du Pré-Rif (Station de Taza –figure 2). Les périodes humides sont souvent intercalées d’années sèches qui peuvent être parfois très sévères (c’est le cas de l’année 1961et 2007). Les périodes de sécheresses sont plus homogènes et sont marquées par une succession presqu’ininterrompue d’années déficitaires (phases sèches de 1943 - 1950 et de 1980 - 1995). En effet, l’analyse des pluies annuelles pour l’ensemble des stations montre qu’une longue sécheresse marque ce territoire de 1980 à 1995. La figure 2 montre que la majorité de valeurs annuelles pour cette période sont inférieures à la moyenne, exception faite des années 1986 et 1989 qui affichent des valeurs légèrement supérieures à 600 mm. En 1995, les quantités annuelles affichent des valeurs inférieures à 300 mm pour l’ensemble des stations; 181mm à Fès, 270 mm à Tissa et 280 mm à Taza. De même, les écarts centrés réduits des cumuls annuels des pluies, sur plus de soixante-dix ans de mesures pour la station de Taza, montrent une évolution selon des phases extrêmes. Elle met clairement une tendance à la baisse très significative à partir de 1980 annonçant une sécheresse exceptionnelle qui s’étend jusqu’à 1995. Les écarts centrés réduits affichent des valeurs négatives supérieures à - 0,50 pendant dix ans et dépassent -1 en 1981 et 1985 (Tribak et al., 2012).
Le calcul de l’écart des précipitations annuelles à la moyenne des séries de données pluviométriques annuelles au niveau des stations d’Ain Aicha, M’jaara et Taza (figures 1, 2 et 3) révèle que la pluviométrie annuelle se caractérise avec des contrastes très nets d’une année à l’autre. Deux épisodes se font distinguer: une période humide (1995-1996 à 2012-2013) et une période sèche (1980-1981 à 2015-2016). La fréquence des années sèches se manifeste avec un écart négatif de 20 fois à la station d’Ain Aicha durant 37 ans (de 1981 à 2018). Un écart est de -57% enregistré à l’année 2015/2016, contre une fréquence des années humides de 16 fois avec un écart positif de 79% détecté à l’année 2017/2018. En revanche, la station de M’jaara a enregistré un écart négatif de 30 fois pendant la période entre 1956 et 2002, avec un écart de -58%. Finalement, la station de Taza marque avec une grande occurrence des écarts négatifs concentrés surtout durant les années 1980 à 1995 et avec une fréquence totale de 28 fois et un écart négatif maximal de -54%, contre, des écarts positifs de 18 fois seulement. Ces valeurs expriment un grand déficit pluviométrique au niveau de la région en particulier pendant les années 1980 où un long épisode de sécheresse est observé.
Figure 1. L’écart des précipitations annuelles à la moyenne à la station de M’jaara entre 1956 et 2012. Source: élaboration propre à partir de ABHS.
Figure 2. L’écart des précipitations annuelles à la moyenne à la station de M’jaara entre 1956 et 2012. Source: élaboration propre à partir de ABHS.
Figure 3. L’écart des précipitations annuelles à la moyenne à la station de Taza entre 1970 et 2018. Source: élaboration propre à partir de ABHS.
Par ailleurs, dans le but de caractériser les sécheresses récurrentes et d’analyser leur impact sur la ressource en eau dans cette région du Prérif, nous avons eu recours à utiliser un indicateur de sécheresse fréquemment utilisé, qui est l’indice standardisé des précipitations (ISP) avec une échelle annuelle qui englobe une année complète. Les valeurs ISP permettent de déterminer la durée, l’intensité et la récurrence des périodes déficitaires. Elle est utile pour comprendre les variations des ressources en eau à long terme et leurs effets sur les écosystèmes et les populations. Nous pouvons déterminer l’intensité de sécheresse en s’appuyant sur les valeurs d’ISP: une sécheresse s’accentue lorsque la valeur ISP tend à être négative, par contre, à partir de la valeur 0 jusqu’à 2, il s’agit d’une tendance vers l’humidité.
Les figures 4, 5 et 6 fournissent une vue détaillée de la variabilité des précipitations à travers l’ISP pour les stations Assara, Ain Aicha et Taza sur la période de 1971 à 2010. L’analyse révèle une grande diversité dans les valeurs de l’ISP, illustrant des variations importantes d’une année à l’autre et entre les différentes stations. Cette variabilité est caractérisée par des valeurs d’ISP fluctuant entre des niveaux positifs et négatifs, soulignant des périodes de surplus et de déficit de précipitations au fil des ans. La tendance observée montre une fréquence croissante des sécheresses depuis les années 1980, avec une diminution notable des années humides. Cette tendance est particulièrement prononcée dans la station de Taza, où l’analyse révèle l’existence de 6 séquences sèches distinctes, marquées par des valeurs d’ISP significativement négatives. Ces séquences sèches, notamment les périodes 1975, 1981-1985, 1987-1995, 1998-2001 et 2005-2007, soulignent une intensification des conditions de sécheresse au fil du temps. Une année particulièrement remarquable est la période 1994-1995, où l’ISP enregistre des valeurs très déficitaires, avec des niveaux atteignant -1.07, -0.93 et -1.12. Ces valeurs témoignent de conditions de sécheresse sévères, avec des impacts potentiels sur les ressources en eau, l’agriculture et les écosystèmes locaux.
Figure 4. Les valeurs ISP à la station d’Assara entre 1977 et 1997. Source: élaboration propre à partir de la direction de la météorologie nationale. 2017.
Figure 5. Les valeurs ISP à la station Ain Aicha entre 1981 et 2012. Source: élaboration propre à partir de la direction de la météorologie nationale. 2017.
Figure 6. Les valeurs ISP à la station de Taza entre 1971 et 2011. Source: élaboration propre à partir de la direction de la météorologie nationale. 2017.
De même, le diagrammes ombrothermique proposé par Gaussen, qui constituent une représentation graphique du climat pour un lieu en particulier, nous a permis d’analyser facilement la tendance annuelle actuelle des précipitations et des températures.
Les figures (7 et 8) montrent facilement la tendance annuelle des précipitations et de température, et permettent de distinguer les mois humides et les mois secs de l’année. Les précipitations dans les deux stations semblent suivre une même évolution, elles ne dépassent pas 100 mm à la période hivernale qui s’étale généralement sur les mois de Décembre, Janvier, Février et Mars, le pic est enregistré au mois de Janvier avec 84 millimètres (station de Taza). Pendant l’été, ce milieu connait une phase de sécheresse où les précipitations sont très faibles voire nulles, surtout en mois de Juin, Juillet et Aout. Il parait que l’amplitude thermique est assez importante à la région, les températures sont élevées pendant la saison estivale, elles sont comprises entre 25° C et 28°. Ces valeurs vont connaitre un changement complet en hiver où les températures sont assez faibles (9° C station de Taounate).
On note que la notion de sécheresse est liée non seulement à la quantité des précipitations mais également aux valeurs élevées des températures. Ainsi, nous constatons une sorte de sécheresse interannuelle manifestée par une diminution voire une absence des précipitations durant l’été, où on assiste à une somme marquée des déficits mensuels.
Par ailleurs, la manipulation des cartes de temps pour l’étude et l’analyse des événements de sécheresse permet de décrire l’état de temps exact pour la période étudiée, afin de savoir par la suite les conditions météorologiques qui ont provoqué une telle situation de sécheresse. D’après le suivi de l’évolution des conditions météorologiques du Prérif au cours de la période 1982-1983, nous pouvons constater que la répartition temporelle de la fréquence des situations anticycloniques sèches a été concentrée sur deux longues périodes : la première période a duré plus de 44 jours, du 25 décembre 1982 au 6 février 1983, tandis que la deuxième période a duré près de quatre semaines, du 23 février au 19 mars 1983. « Au cours de ces deux périodes, la fréquence des situations de sécheresse sur le domaine Prérifain est survenue sans arrêt, en raison de la stabilité prolongée des cellules anticycloniques barrières dans l’air, ce qui a empêché les perturbations pluvieuses de pénétrer » (Janati, 2010; Bahou, 2002). De même, si les conditions de la sécheresse exceptionnelle de l’année 1982/1983 sont dues principalement à une grande fréquence des situations sèches et stables et à la stabilité prolongée des cellules anticycloniques sur le Maroc, ceci est également lié à la faible efficacité des perturbations, où la réduction des précipitations a aggravé la situation de sécheresse de cette année. Cette situation est due essentiellement à la concentration de l’anticyclone des Açores pendant une longue période créant une barrière aérienne puissante qui empêche les perturbations polaires de se répandre au Maroc; ce qui explique l’occurrence de périodes de sécheresses sévères au cœur de la saison humide (figures 9 et 10).
Figure 7. Diagramme ombrothermique de Gaussen de la station de Taza (période 1971/72-2009/10). Source: élaboration propre à partir de la direction de la météorologie nationale, 2017.
Figure 8. Diagramme Ombrothermique de Gaussen de la station de Taounate (période 1971/72-2009/10). Source: élaboration propre à partir de la direction de la météorologie nationale, 2017.
Figure 9. Situation anticyclonique à 500 hPa en hiver, le jour de 04/01/1983. Source: www.wetter3.de
Figure 10. Situation anticyclonique à 500 hPa en hiver, le jour de 24/01/1983. Source: www.wetter3.de
Le même constat a été observé par plusieurs chercheurs qui ont confirmé que de nombreuses régions au Maroc ont été confrontées à des sécheresses récurrentes depuis le début des années 1980. Une situation qui a engendré des conséquences non négligeables sur l’économie du pays. Prenant l’exemple de l’étude de « Caractérisation De La Sécheresse Climatique Du Bassin Versant D’oum Er Rbia (Maroc) Par Le Biais De L’indice De Précipitation Standardisé (SPI) » préparée par Daki et al (2016). L’objectif était de localiser les périodes de sécheresses climatiques remarquables de par leur durée, leur intensité et leur fréquence au bassin versant d’Oum Er Rbia pour la période- 1985-2013 à l’aide de l’ISP. L’analyse de calcul de cet indice à la station de Bni Mellal a révélé que la période 1985-1995 s’est marquée par des sécheresses sévères et successives, où l’ISP entre cette période a enregistré (-3). De même, le calcul de l’ISP effectué pour la station de Safi a fait dégager presque le même résultat. Il a montré une alternance des années déficitaires et des années humides pour la période entre 1985 et 1997, pourtant, la période entre 1997 et 2001 la région est dominée par des sécheresses extrêmement sèches. Outre la survenance des sécheresses d’une année à l’autre, l’étude a montré l’existence des séquences sèches à l’échelle mensuelle au long de la période étudiée. L’ISP a permis de détecter deux séquences modérément sèches, la première est entre 1998 et 2001 qui est caractérisé par 30 mois secs, avec -1.19 comme valeur maximal de l’indice SPI. La deuxième séquence était entre 2007 et 2008, avec 24 mois secs, SPI = -1.00.
En matière d’analyse des périodes sèches, ayant un impact très négatif sur la zone prérifaine, il parait bien évident que la sécheresse récente (1980 - 95) s’individualise par une intensité qui se traduit essentiellement par l’aspect cumulatif et récurrent des années très déficitaires (Tribak et al., 2019). La majorité des communes prérifaines, ont connu un déficit hydrologique considérable, à tel point que les quantités d’eau stockées étaient très dérisoires, voire nulles, même dans les secteurs où les formations aquifères (gréseuses ou calcaires) sont assez répandues. Les sécheresses absolues intercalaires au cours de l’année agricole, tel était les cas pendant les deux mois de Janvier et Février 1983, reflètent une perturbation des rythmes saisonniers pendant cette période récente de sécheresse. Cet épuisement de la ressource en eau s’est traduit par un tarissement total d’un grand nombre de points de prélèvement d’eau ainsi qu’une réduction excessive des débits des cours d’eau dans la région.
En effet, la région prérifaine a connu une variation en débits moyens qui témoigne d’un déficit hydrologique marqué pendant les années 1969, 1980, 1982, 1991, 1992, 1995, 1998, 2006, 2007. Par contre, les années 1970, 1973, 1985, 1996, 1997 et 2009 montrent une augmentation des débits pour la station de Bab Merzouka. Par ailleurs, les débits moyens de l’Oued Ouergha montrent une irrégularité temporelle, où le maximum des débits mensuels caractérise la saison hivernale. Il est de 111.9 m3/s en Novembre, 142.6 m3/s en Décembre et de 110.7 m3/s en Janvier. Cela veut dire que la majorité du débit s’écoule en saison pluvieuse et que l’écoulement est tributaire des apports en pluviométrie concentrés en hiver. Alors que celui de la saison sèche enregistre de faibles valeurs: 1.8 m3/s pour juillet et 1.5 m3/s en Aout. Une analyse des résultats de données climatiques et hydrologiques a détecté une tendance à la baisse très significative des précipitations et les apports hydriques des cours d’eau à partir des années 80. Ainsi, il est confirmé qu’il y a une relation de concordance entre les variations des précipitations et les apports hydriques annuels, en prenant l’exemple de la station du Barrage Idriss I, nous pouvons confirmer la forte proportion du ruissellement superficiel lors des crues et l’influence des terrains imperméables (marnes) qui limitent l’infiltration des pluies. Cette situation implique également l’ampleur de la sécheresse hydrique saisonnière bien marquée dans la région, où la disparité locale et régionale des pluies induit celles des écoulements superficiels (El Garouani et al., 2006). Nous mentionnons que le nombre des mois déficitaires a augmenté de façon considérable pendant la sécheresse de 1980 avec une chute remarquable voire un tarissement des débits des cours d’eau de la région (figures 11, 12 et 13).
Par ailleurs, des mesures effectuées sur terrain montrent une diminution saisonnière considérable des débits des sources dans la région prérifaine pendant cette période de sécheresse (El Amrani, 2014), Tel était le cas pour Ain Sef Hmam qui a enregistré 3.5 l/s en hiver et 1.5 l/s en été. Le débit des sources est lié significativement aux conditions climatiques, ainsi qu’à la nature lithologique composée de schistes et de marnes qui stockent moins les eaux et se vident rapidement comme c’est le cas d’Ain Zrizer (El Amrani, 2014).
Figure 11. Débit moyen de l’Oued Inaouene à la station de Bab Merzouka pour la période 1969 et 2010. Source: élaboration propre à partir de ABHS.
Figure 12. Débit moyen d’Oued Ouergha à la station Bab Ouender pour la période 1951-2010. Source: élaboration propre à partir de ABHS.
Figure 13. Les débits moyens mensuels de l’Oued Ouergha à la station de Bab Ouender de l’année hydrologique pour la période 1951-2010. Source: élaboration propre à partir de ABHS.
Tableau 1. Débits saisonniers des sources de la commune d’Ain Medyouna mesurés en 2011 et 2012.
Nom de source |
Automne en l/s |
Hiver en l/s |
Printemps en l/s |
Eté en l/s |
Total en l/s |
Débit moyen en l/s |
|
Ain Zerifiya |
0.7 |
1.2 |
1.3 |
0.8 |
4 |
1 |
|
Ain Sef Hemam |
1 |
3.5 |
4 |
1.5 |
10 |
2.5 |
|
Ain zrizer |
0.1 |
0.4 |
0.3 |
0.03 |
0.83 |
0.2 |
|
Ain Ennichara |
0.2 |
0.6 |
0.5 |
0.3 |
1.5 |
0.4 |
|
Ain Keznaya |
1 |
0.16 |
1 |
1.12 |
0.3 |
2.58 |
0.64 |
2 |
0.14 |
1.1 |
1.18 |
0.2 |
2.62 |
0.66 |
Source: El Amrani, 2014.
Le tableau ci-dessus montre bien les faibles débits enregistrés pendant différentes saisons des années 2011 et 2012. Par exemple les débits enregistrés pendant les saisons d’hiver et de printemps ne dépassent pas 0.4 l/s pour Ain Zrizer et 0.6 l/s pour Ain Ennichara, avec un débit moyen respectif de 0.2 et 0.4 l/s.
L’agriculture joue un rôle crucial dans l’économie marocaine, et son niveau de développement est étroitement lié à celui de la production agricole. Ce secteur contribue à hauteur de 13,6 % du PIB national selon le HCP. En termes d’emplois, l’agriculture reste le principal pourvoyeur d’emplois au Maroc, employant actuellement environ 34,69 % de la population active du pays et près de 74 % en milieu rural (Ministère de l’économie et des finances, 2019). Dans le Prérif, l’importance du secteur primaire est notable, représentant jusqu’à 89,70 % à Sidi Mokhfi et 82,40 % à Taounate (tabaleau 2).
Tableau 2. Situation des activités économiques de certaines communes du Prérif.
Secteur d’activité |
Primaire en % |
Secondaire en % |
Tertiaire en % |
|||
commune |
agriculture |
artisanat |
commerce |
service |
administration |
ouvriers |
Taounate Galaz Rhafsai Sidi Mokhfi |
82.40 75.30 64.20 89.70 |
0.5 9.75 8.60 3.20 |
6.0 4.0 5.4 2.3 |
1.4 2.0 8.6 1.9 |
1.4 1.25 1.30 0.30 |
8.30 7.70 11.90 2.60 |
Source: El Alami Mohammed, 1990.
Le domaine prérifain a connu ces dernières décennies des vagues successives de sécheresse, dont les conséquences sur l’agriculture ont été fatales. Depuis plus de quarante ans, les crises hydrologiques ont influencé profondément le système agropastoral, surtout durant les années 80, caractérisées par un prolongement des séquences de sécheresse, en créant par conséquent des irrégularités en production agricole et pastorale. La vulnérabilité des agriculteurs marocains et surtout ceux des zones de Bour s’est accentuée de plus en plus dans la mesure, où ils dépendent essentiellement d’un système agropastoral pluvial, caractérisé par une agriculture traditionnelle peu mécanisée et encore tributaire d’une forte main d’œuvre agricole. La fragilité du milieu Prérifain et la précarité des paysans limitent leur capacité de protéger leurs milieux agricoles par l’amélioration de leur système agricole, ce qui impacte la possibilité à prendre en charge leurs sécurités alimentaire et économique. La figure 14 qui dépeint la fluctuation de la production céréalière dans les zones rurales de Fès sur une période de 22 ans met en lumière une tendance à l’instabilité de cette production. Les années marquées par des saisons sèches (94-95, 99-00, 06-07, 15-16) se traduisent par des niveaux de production relativement bas, indiquant un état de carence ou de faible rendement. En revanche, des périodes plus favorables, comme les années (02-03, 05-06, 08-09), sont caractérisées par des augmentations significatives de la production.
Ces variations soulignent les défis auxquels les agriculteurs des zones rurales de Fès sont confrontés en raison des conditions climatiques fluctuantes, en particulier les sécheresses récurrentes. Le graphique 15 qui décrit l’évolution de la production céréalière dans les communes rurales de Fès sur une période de 22 ans révèle une instabilité significative. Cette instabilité se traduit par des fluctuations dans la production de céréales, montrant des résultats mitigés au fil des années. Certaines années, notamment celles marquées par des périodes de sécheresse (94-95, 99-00, 06-07, 15-16), connaissent une baisse notable de la production, pouvant même atteindre un niveau de carence. En contraste, d’autres années comme celles de (02-03, 05-06, 08-09) affichent des performances plus positives, avec des niveaux de production supérieurs. Cette analyse met en lumière les défis auxquels les agriculteurs des communes rurales de Fès sont confrontés en matière de production céréalière. Les périodes de sécheresse ont un impact direct sur la production, entraînant des baisses significatives qui peuvent compromettre la sécurité alimentaire et économique de ces régions.
Il est confirmé que la sécheresse a directement causé la défaillance du système agropastoral pendant cette période. Ces effets sont observés à la fois dans les données statistiques agricoles du HCP et dans les résultats des enquêtes menées dans trois Douars prérifains. Ces enquêtes mettent en évidence les conditions rigoureuses du système agricole dans cette région montagnarde, où la plupart des parcelles cultivées sont dispersées et de taille inférieure à 4 hectares (79% selon les données d’enquête de 2021). De plus, la production de ces cultures connaît une diminution, tout comme les rendements pour la majorité des cultures, qui chutent chaque année de sécheresse.
Prenons l’exemple des céréales: leur production a atteint ses niveaux les plus bas pendant les sécheresses sévères des années 80 et 90 (tableau 3). Nous avons observé une nette diminution de la production moyenne annuelle pendant les années sèches pour les trois cultures étudiées. Par exemple, la production moyenne de blé varie entre 2,46 tonnes par ménage pendant les années humides actuelles et 0,60 tonne pendant les années sèches. Cette même tendance a été observée pendant les années 80 et 90, avec une diminution de production allant jusqu’à 0,72 tonne pendant les années 90 et 0,25 tonne pendant les années 80 en période de déficit. Globalement, nos résultats montrent une progression de la production par rapport aux niveaux enregistrés dans les années 80 et 90.
Figure 14. Evolution de la production des céréales en milliers de quintaux aux communes rurales de Fès, (1994-2016). Source: élaboration propre à partir de HCP.
Figure 15. Evolution de la production des céréales en milliers de quintaux à Taounate, (1994-2016). Source: élaboration propre à partir de HCP.
Tableau 3. Production moyenne annuelle de la culture entre les années humides et sèches en (T) pour chaque ménage.
Blé |
||||||
Actuellement |
Les années 90 |
Les années 80 |
||||
A humide |
A sèche |
A humide |
A sèche |
A humide |
A sèche |
|
Moyen |
2.46 |
0.60 |
2.34 |
2.72 |
1.09 |
0.25 |
Max |
15.0 |
5.0 |
14 |
5.0 |
10 |
5.0 |
Min |
0.10 |
0.0 |
0.0 |
0.0 |
0.0 |
0.0 |
Orge |
||||||
Moyen |
1.27 |
0.36 |
0.93 |
0.21 |
0.53 |
0.05 |
Max |
6.0 |
3.0 |
3.0 |
2.0 |
4.0 |
1.50 |
Min |
0.0 |
0.0 |
0.0 |
0.0 |
0.0 |
0.0 |
Légumineuse |
||||||
Moyen |
0.61 |
0.13 |
0.43 |
0.20 |
0.36 |
0.15 |
Max |
3.0 |
1.0 |
2.50 |
4.0 |
2.50 |
4.0 |
Min |
0.0 |
0.0 |
0.0 |
0.0 |
0.0 |
0.0 |
Source: élaboration propre à partir de données d’enquête personnelle 2021.
Les données du Haut-Commissariat au Plan révèlent que l’évolution de la production animale dans la région est également soumise à l’influence des sécheresses, bien que de manière moins sévère que la production céréalière. Cependant, certaines années présentent des baisses significatives de production qu’il ne faut pas négliger. Les années les plus déficitaires concernent notamment les bovins (1985-1988-1992), avec des chiffres respectifs de 2204, 2493 et 5603 milliers de têtes pour les communes rurales de Fès, par exemple. En revanche, des périodes de bonnes productions sont notées, avec 66748 milliers de têtes en 1981, 63000 milliers de têtes en 1987, 67300 milliers de têtes en 2011 et 70000 milliers de têtes en 2013. À Taounate, l›analyse des statistiques de la production bovine révèle également une évolution irrégulière. La production a fortement diminué en 1985 par rapport à son pic, enregistrant 6718 milliers de têtes, puis elle est remontée à 8554 milliers de têtes en 1988 pour retomber à 4650 milliers de têtes en 1992.
Figure 17. Evolution des effectifs des bovins en milliers de têtes aux communes rurales de Fès entre 1981 et 2015. Source: élaboration propre à partir de HCP.
Figure 18. Evolution des effectifs des ovins en milliers de têtes aux communes rurales de Fès entre 1981 et 2015. Source: élaboration propre à partir de HCP.
L’étude sur la sécheresse climatique dans la région du Prérif a révélé une irrégularité notable de la pluviométrie depuis 1932, avec des périodes de sécheresse marquées, particulièrement entre 1980 et 1995. Les années sèches durant cette période affichent des déficits pluviométriques importants, notamment à la station de Taza où les valeurs annuelles étaient souvent inférieures à la moyenne, avec des périodes extrêmement sèches observées en 1961 et 2007. La fréquence des situations anticycloniques sèches et la stabilité des cellules anticycloniques ont joué un rôle crucial dans l’intensification des conditions de sécheresse, entraînant des déficits hydrologiques significatifs et affectant gravement l’agriculture et les ressources en eau locales.
De manière similaire, l’étude sur le bassin versant d’Oum Er Rbia, couvrant la période de 1985 à 2013, a également utilisé l’indice de précipitation standardisé (SPI) pour analyser la sévérité de la sécheresse (Daki et al., 2016). Les résultats montrent une dominance des années sèches, particulièrement entre 1985 et 1995, où l’indice SPI a atteint des valeurs aussi basses que -3 à la station de Béni Mellal, indiquant des conditions extrêmement sèches. Des années extrêmement humides ont été observées autour de 1996, 2002 et 2008, suivies d’un retour à des conditions plus sèches après 2010.
Les deux études montrent des périodes de sécheresse sévère durant les années 1980 et 1990, mais les régions ont également connu des phases d’humidité variable. Par exemple, la station de Safi a montré une alternance entre des années sèches et humides de 1985 à 1997, puis une période de sécheresse très marquée de 1997 à 2001, alors que les stations du Prérif, telles que Taza, ont montré une tendance générale vers une augmentation des sécheresses et une diminution des années humides depuis les années 1980.
En résumé, bien que les deux études couvrent différentes régions du Maroc, elles illustrent une tendance similaire vers une augmentation des sécheresses au cours des dernières décennies, avec des impacts significatifs sur les ressources en eau et l’agriculture. Cependant, chaque région présente des caractéristiques spécifiques de variabilité climatique et de réponse aux conditions météorologiques, ce qui souligne l’importance d’adopter des stratégies de gestion des ressources adaptées à chaque contexte local.
En conclusion, notre étude a souligné la persistance des périodes de déficit et de sécheresse qui ont profondément marqué les zones rurales du Prérif, en particulier durant les années 1980 et 1990. Nos investigations sur le terrain ont corroboré ces constats: 86% des habitants des zones rurales ont attesté avoir subi des sécheresses durant ces décennies, entraînant des conséquences néfastes sur leurs conditions de vie et leur stabilité socio-économique. Ces sécheresses ont entraîné une désertification des zones, une pénurie sévère en eau pendant la saison des pluies, ainsi qu’une baisse significative de la production agricole et pastorale, induisant des déplacements migratoires. À l’échelle régionale, les données sur l’évolution démographique entre 1982 et 1994 montrent un phénomène d’abandon et de déclin rural touchant de nombreux secteurs qui ne peuvent plus assurer des ressources suffisantes aux habitants. Par exemple, dans la province de Taza, les communes les plus impactées sont Taïfa et Traïba, enregistrant respectivement des taux de croissance négatifs de -12,1% et -5,3%. Cette tendance est encore plus préoccupante au niveau des douars, où les douars El Kochna et Ouled Abdeslam de la commune de Taifa montrent des taux de croissance négatifs de -62,8 % et -53,1 %, signalant un véritable déclin démographique selon les chiffres de Tribak., 2002.
En guise de conclusion, il s’avère important de souligner que les sécheresses climatiques et, par conséquent, hydrologiques qui ont affectés les espaces ruraux marocains et plus particulièrement la région prérifaine ont eu des conséquences dramatiques, non seulement sur le système agropastoral, mais aussi sur tout l’environnement physique et humain. Les sécheresses récurrentes ont profondément affecté la disponibilité et la gestion de la ressource en eau dans la région prérifaine du Maroc. Cette situation a entraîné une crise hydrologique majeure, caractérisée par une pénurie sévère d’eau pendant les saisons pluvieuses. Les répercussions ont été dévastatrices pour les systèmes agropastoraux locaux, les écosystèmes et la vie quotidienne des habitants. La diminution des précipitations et l’irrégularité des cycles hydrologiques ont exacerbé les tensions autour de l’accès à l’eau. Cette situation de crise environnementale et par conséquent de crise socio-économique a été à l’origine d’un dénouement des liens existant entre le milieu et ses populations qui ont trouvé dans l’émigration vers les villes voisines une chance de salut. En effet, confrontés à des situations précaires des conditions de vie, les populations locales ont été contraintes de chercher des solutions en dehors de leurs milieux. Ceci s’est traduit par un exode massif et des mouvements migratoires vers les villes environnantes dont les formes et l’ampleur restent variables d’une période à l’autre. Tel est le cas de la ville de Fès qui a connu une augmentation démographique accélérée en enregistrant une montée exceptionnelle et sans précédent due principalement aux flux migratoires à partir des campagnes environnantes pendant les années 80. Cette tendance démographique a été accompagnée d’une extension accélérée et irrationnelle du tissu urbain, ce qui a favorisé la prolifération des quartiers non-réglementaires et sous-équipés. Ces phénomènes d’instabilité de populations prérifaines et de déprise rurale, liés aux sécheresses récurrentes, préoccupent amplement les décideurs en raison de leurs impacts négatifs sur les deux champs répulsifs et attractifs. En conséquence, la question du développement du monde rural, dont les conditions sont de plus en plus précaires, s’impose plus que jamais. Elle exige une amélioration des infrastructures de base touchant les domaines du transport de la santé, de l’enseignement, et de l’agriculture. De même, l’aménagement des ressources en eau, qui constitue un facteur déterminant qui assure la stabilité des populations rurales, demeure une priorité nationale que toute politique de développement rurale doit prendre en considération, afin de faire face aux lourdes conséquences des sécheresses qui sont de plus en plus fréquentes.
Cette recherche a été réalisée dans le cadre de ma thèse de doctorat sous la supervision du Professeur Abdellatif Tribak. Je tiens à exprimer ma plus profonde gratitude au Professeur Tribak pour son encadrement précieux, ses conseils avisés et son soutien tout au long de cette étude. Ses connaissances et son expertise ont été déterminants pour la réalisation de ce travail.
Je souhaite également remercier les communautés locales des montagnes du Prérif pour leur participation aux enquêtes et leur partage de connaissances et d’expériences, qui ont grandement enrichi cette recherche. Un grand merci aux stations météorologiques et hydrologiques pour la fourniture des données essentielles à cette étude, ainsi qu’aux chercheurs dont les travaux précédents ont été intégrés et ont enrichi notre analyse.
L’ auteur s’engage à divulguer tout conflit d’intérêts existant ou potentiel en relation avec la publication de leur article.
Achalhi, M. (2016). Chronostratigraphie et sédimentologie des bassins néogènes de Boudinar et d’Arbaa Taourirt (Rif oriental, Maroc). [Thèse de doctorat. Université Mohamed premier. Faculté des sciences, Oujda]. Université Mohamed premier. Faculté des sciences, Oujda.
Avenard, J.M. (1962). La solifluxion ou quelques méthodes de mécanique des sols appliquées au problème géomorphologique des versants. Mémoire de la Revue de Géomorphologie dynamique, (1). SEDES.
Azagouagh, K. (2021). Risques environnementaux, occupation des sites vulnérables et dynamique territoriale des espaces urbains et périurbains au Maroc, cas de l’agglomération de Fès. [Thèse de doctorat, Faculté des lettres et des sciences humaines Fès Sais]. Faculté des lettres et des sciences humaines, Fès- Sais.
Azagouagh, K., & EL-Ommal, M. (2022). Récurrence des sècheresses et mouvements migratoires dans la montagne marocaine: cas de quelques communes du prerif. Geomaghreb (18), 17-31.
Bahou, A. (2002). La sécheresse climatique au Maroc: ses caractéristiques, sa relation avec le cycle de l’air et ses impacts (en arabe). [Thèse de doctorat. Université des lettres et des sciences humaines, El Mohammadia]. Université des lettres et des sciences humaines, El Mohammadia.
Belkhiri, A., Lecomte, JP., El Khabouti, A., El Hamouri, A., & Meryouh, D. (1987). Bilan de cinq années de sècheresse au Maroc. Revue eau et développement, (3), 13-33.
Daki, Y., Zahour, GH., Lachgar, R., & El Hadi, H. (2016). Caractérisation de la sécheresse climatique du bassin versant D’oum Er Rbia (Maroc) par le biais de l’indice de précipitation standardisé (SPI). European Scientific Journal, 12(14). https://doi.org/10.19044/esj.2016.v12n14p198
El Amrani, A. (2014). Atlas des sources d’eau en amont d’Oued Ourgha central et son rôle dans l’organisation de l’espace et de la population, cas des provinces d’Ain Medyouna, Bouadel et Bni Oulid (en arabe). [Thèse de doctorat. Université des lettres et des sciences humaines Fès, Sais]. Université des lettres et des sciences humaines Fès - Sais
El Amrani, H. (2018). La vulnérabilité du territoire du grand Nador aux risques naturels, occupation urbaine des zones inondables et dynamique territoriale. [Thèse de doctorat. Université des lettres et des sciences humaines, Fès, Sais]. Université des lettres et des sciences humaines, Fès - Sais.
El Asri, M. (2015). Les inondations menaçant l’agglomération de Fès: De l’étude hydrologique et du risque à la cartographie des dangers d’inondation. [Thèse de doctorat. Université Sidi Mohamed Ben Abdellah. Faculté des Lettres et des Sciences Humaines, Fès – Saїs]. Université Sidi Mohamed Ben Abdellah. Faculté des Lettres et des Sciences Humaines, Fès – Saїs
El Bakouri, A. (2018). Étude géologique et sédimentologique du moyen Ouerrha, Taounate (Rif, Maroc). Revue marocaine de géomorphologie, (2), 64-78.
El Garouani, A., & Tribak, A. (2006). Relation entre hydrologie et climat dans le bassin versant de l’Oued Inaouène (Prérif Marocain). In Climate Variability and Change— Hydrological Impacts Proceedings of the Fifth Friend World Conference held at Havana, Cuba, November. IAHS Publ.
El Gerouani, A., Merzouki, A., Jabrane, & R. Boussema, M. (2003). Cartographie de l’érosion des sols dans le bassin versant de l’oued Jemaa(prérif Maroc). Géomagreb, (1), 39-46.
Giret, A. (2007). Le risque hydrologique: du concept à sa gestion. Edition Le Manuscrit.
Janati Idrissi, A. (2010). Situation pluviométrique extrêmes et impacts engendres au Maroc: cas de l’année 2008-2009. Revue Géo-Maghreb, (6), 105119.
Nejiari, A., (2005). La sécheresse, l’eau et l’homme dans le bassin versant du Haut Sebou (Moyen Atlas septentrional). [Thèse Doctorat – CEGUM- Metz]. CEGUM- Metz
Ouhamdouch, S., Bahir, M., & Crrièra, P.M. (2018). Impact du changement climatique sur la ressource en eau en milieu semi-aride: exemple du bassin d’Essawira (Maroc). Revue des sciences de l’eau, 31(1). https://doi.org/10.7202/1047050ar
Royaume du Maroc, Ministre du commerce, de l’industrie, des mines et de la marine (1971). Ressources en eau du Maroc. In M. Combre, Tome 1. Domaines du rif et du Maroc oriental. La Zone prérifaine et les Rides prérifaines. Editions du service géologique du Maroc (Rabat).
Tribak, A. (2020). Erosion and Flooding Risks in the Marly Basins of the Eastern Prerif Mountains (Morocco): A Response to Exceptional Climate Events or to Anthropogenic Pressure. Revista de Estudios Andaluces, (40), 159–182. https://doi.org/10.12795/rea.2020.i40.09
Tribak, A. (2000). L’érosion hydrique en moyenne montagne du Prérif oriental: étude des agents et processus d’érosion Th. Etat. Uni. El Jadida.
Tribak, A. (2002). Contraintes du milieu et fragilité d’un espace montagnard marocain: les montagnes du Prérif oriental. Annales de Géographie, (625), 227 – 245. https://doi.org/10.3406/geo.2002.1655
Tribak, A. (2007). Facteurs climatiques de l’érosion hydrique dans quelques bassins du Rif marocain: cas de la province de taza. In Actes du XXème colloque de l’AIC ‘ Climat, tourisme environnement’ Carthage, Tunis (pp. 550 – 555).
Tribak, A., El Amrani, H., Azagouagh, K., Roudani Yakoubi, S., Ziane, F.Z., Benriah, N., & Ennasry, E. (2019). Occupation des sites à risques en zones périurbaines: causes, modalité et conséquences (cas des villes de Fès et Taza). Geo-Eco-Trop., 43(2), 249-258
Tribak, A., Nouaceur, Z., Amyay, M., & Abahrour, M. (2012). Genèses et impacts des pluies intenses sur les milieux Pré-rifains Marocains (Etude du cas de la région de Taza, Maroc). Géomaghreb, (7), 47-56.