Revista Comunicación, Vol. 21, N.º 2, año 2023, pp. 126-147
DOI: https://doi.org/10.12795/Comunicacion.2023.v21.i02.08//
ENTREVISTA
Je ne fais pas du cinéma, le cinéma se fait en moi : Entretien avec Moussa Sène Absa
Saiba Bayo
Doctorant en philosophie politique avec une spécialisation dans le cinéma de Sembène Ousmane, il enseigne actuellement le postcolonialisme et les études africaines au Département de Sciences Politiques et Sociales de l’Université Pompeu Fabra de Barcelone
Avec la collaboration de
Marta Lima
Programmatrice culturelle et co-fondatrice ainsi que coordinatrice du Festival Itinérant de Cinémas Africains en Catalogne (FICAC). Étudiante en master d’Anthropologie Sociale et Culturelle à l’Université de Barcelone.
1. Introduction
Avant de présenter Moussa Sène Absa, nous jugeons utile faire une brève contextualisation du cinéma dont il est l’un des porte-drapeau. Bien que la critique ait souvent associé l’émergence du cinéma sénégalais et africain au court-métrage Afrique-sur-Seine réalisé en 1955 par des étudiants africains à Paris, notamment Mamadou Sarr, Paulin Soumanou Vieyra, Jacques Melo Kane, et Robert Caristan, le véritable cinéma africain n’a pris son envol que lorsque les africains commencèrent à remettre en question leur représentation à l’écran, leur relation avec l’image cinématographique. Cela intervient avec l’accession des colonies française d’Afrique noire à l’indépendance vers les années 1960. Au Sénégal, une première génération de cinéastes, avec à sa tête Paulin Soumanou Vieyra, Ousmane Sembène et Ababacar Samb Makaram, a jeté les bases d’un cinéma orienté vers les préoccupations du peuple.
Il convient de préciser, tout de même, que la naissance du cinéma sénégalais est indissociable de la figure de Vieyra. Né le 31 Janvier 1925 à Porto Novo, Bénin, Vieyra fut le premier african admis à l’Institut des Hautes Études Cinématographiques en France en 1952. C’est durant cette période qu’il consolida son amitié avec Sembène Ousmane, alors un « apprenti » écrivain-autodidacte qui devint ainsi son compagnon de voyage, le suivant partout en Europe et renforçant ainsi les liens d’amitié nés au pays. Une fois ses études de cinéma terminées, Vieyra fut rapidement remarqué par le premier président sénégalais Léopold Sédar Senghor pour piloter la création de l’Office de Radiodiffusion et Télévision sénégalaise ainsi que le bureau de production d’actualités et de films éducatifs. Le Sénégal était en transition vers l’indépendance et Senghor souhaitait utiliser le cinéma pour lutter contre l’analphabétisme en favorisant l’éducation de son peuple avec le soutien de l’UNESCO.
Grâce à son rôle de conseiller du président sénégalais et à sa position privilégiée en tant que directeur des Actualités Sénégalaises et cinéaste (ayant dirigé des films tels que L’Afrique à Moscou en 1957, Le Niger aujourd’hui en 1958, Une nation est née en 1961), Vieyra a contribué considérablement à l’émergence du cinéma sénégalais. Par exemple, il était le mentor de Sembène et producteur de ses premiers films. Il fut également le pionnier de la critique cinématographique en Afrique, grâce à des ouvrages tels que Ousmane Sembène, cinéaste : première période, 1962-1971 (1973), Le Cinéma africain : des origines à 1973 (1975), Le cinéma au Sénégal (1983) et de nombreux autres articles sur le cinéma africain. Lors d’une interview avec Pierre Affner en 1978, Vieyra avoue qu’il n’avait pas une véritable vocation de cinéaste. Il a cependant soutenu une thèse doctorale à l’âge de 62 ans, montrant ainsi sa passion pour la critique. Aux côtés de son ami et compagnon de première heure, Sembène, Vieyra mérite d’être nommé le « baobab du cinéma africain », tel que défini par Moussa Sène Absa.
Comment un tel cinéma sénégalais / africain a-t-il pu être créé ? La particularité de Sembène, Vieyra et d’autres réside dans le fait qu’ils ont produit des films dans un contexte marqué par l’absence d’infrastructures et de financement, mais surtout par le manque d’intérêt des dirigeants africains, peu enthousiastes à l’époque, pour la production cinématographique, due certainement au caractère populaire de son audience et à la nature subversive de cette expression artistique. Dans les ex-colonies françaises, l’émergence du cinéma était davantage due à la volonté de la France de produire des films africains. Même s’il faut rappeler que, comme le montre Manthia Diawara, la France a astucieusement contribué à faciliter la production de films africains tout en empêchant des pays comme le Sénégal de mettre en place des installations de production indépendantes.1 Ceci se traduit par le contrôle de la production par la France alors que la distribution était assurée par des sociétés françaises, la Compagnie Africaine Cinématographique Industrielle et Commerciale (COMACICO) et la Société d’Exploitation Cinématographique Africaine (SECMA).2 Les écrans sénégalais étaient donc demeurés colonisés par des films commerciaux, principalement des films romantiques et d’action européens, américains, hindous et égyptiens.
Les premiers cinéastes sénégalais ont cherché à contourner, sans grand succès, les contraintes de la production. Sembène, par exemple, fonde sa propre société, Filmi Domirev, à Dakar, s’occupant lui-même de tous les aspects de la production, subventions publiques et privées, coproductions et distribution locale, tout en contribuant en 1969 à la fondation de la Fédération Panafricaine des Cinéastes (FEPACI) pour promouvoir le cinéma africain. La FEPACI a servi de groupe de pression pour exiger des gouvernements africains un engagement significatif dans la régulation, la production et l’exploitation cinématographique. C’est ainsi qu’en 1973, le gouvernement sénégalais a créé la Société Nationale du Cinéma (SNC) au sein du ministère de la Culture.
Il advient que le cinéma sénégalais a préservé, tant bien que mal, le premier élan grâce aux efforts individuels de cinéastes comme Sembène Ousmane qui y a joué un rôle décisif devenant ainsi l’emblème du cinéma sénégalais et africain, d’où son surnom de « père » du cinéma africain. Il sera bientôt rejoint par les plus jeunes tels que Mahama Traoré (Diankha-bi, 1969 : L’Enfer des innocents, 1969, Diègue-Bi, 1970), Djibril Diop Mambéty (Contras’City, 1969, Badou Boy, 1970, Touki-Bouki, 1973) ou Safi Faye, considérée comme la « mère du cinéma africain » pour avoir été la première femme noire africaine à réaliser un long métrage, Kaddu Beykat/Lettre paysanne (1975). Le cinéma sénégalais vivait son âge d’or quand, à la fin des années 1970, la production cinématographique en Afrique a subi une baisse soudaine, traversant ainsi une période de perturbation avec un déclin significatif provoqué par la crise économique et les mesures d’austérité imposées par les bailleurs de fonds étrangers.
Ces deux premières générations ont joué un rôle crucial dans la décolonisation et la féminisation du cinéma. Cependant, avec Djibril Diop Mambéty, une nouvelle esthétique et un nouveau style langagier ont vu le jour. Grâce à sa touche poétique, Mambéty a tracé une voie cinématographique plus axée sur l’innovation artistique que sur la thématique sociopolitique dont Sembène était l’initiateur. La troisième génération de cinéastes serait donc le fruit de la rencontre entre les travaux de leurs aînés et le cinéma commercial de pur spectacle projeté sur les écrans pour les Africains. Cette richesse de l’offre cinématographique a forgé des figures telles que Moussa Sène Absa. Parmi les réalisateurs sénégalais contemporains, Moussa Sène Absa peut être qualifié de « pont entre différentes formes artistiques » pour sa gigantesque capacité d’assemblage des différentes formes artistiques dans ses films et le rôle spirituel qu’il assigne au cinéma tout en abordant des thèmes sociaux et politiques de manière innovante et engagée.
Né en 1958 au sein d’une famille modeste dans le quartier populaire de Tableau Ferraille, il perd son père à un très jeune âge et grandit sous l’aile protectrice de sa mère. Fils unique, il se fait des amis et des frères dans les rues de Tableau Ferraille qui lui font découvrir le cinéma hindou. Brillant étudiant, il réussit son baccalauréat avec mention et sollicite une bourse pour poursuivre des études de cinéma en France. Mais sa candidature est malheureusement rejetée. Cependant, sa passion pour le septième art était indomptable, comme il le dit lui-même. Il continua à fréquenter les salles de cinéma de Dakar jusqu’à son départ pour la France au début des années 1980. À Paris, il s’immerge rapidement dans le milieu artistique. Il explore le théâtre et fait de la figuration avant de suivre des cours d’écriture de scénario à l’Université de Paris. C’est ainsi que débute véritablement sa carrière de cinéaste.
Il a également travaillé comme assistant de Djibril Diop Mambéty et il est entré en contact avec Ousmane Sembène, deux figures emblématiques du cinéma sénégalais et africain. Cependant, il n’a jamais perdu de vue la vision qu’il avait de son propre cinéma, une vision profondément enracinée dans son enfance et dans laquelle il souhaitait capturer l’essence de son terroir. Moussa Sène Absa est le reflet de ses films. Son œuvre explore des thèmes tels que les anges, les démons et les esprits des ancêtres qui peuplent l’univers de Tableau Ferraille, le quartier qui l’a vu grandir. Il a d’ailleurs réalisé cinq longs métrages et une série télévisée dans ce quartier, ce qui fait de lui « le père du cinéma de banlieue ». Son concept cinématographique est une source d’inspiration majeure pour la nouvelle génération de cinéastes sénégalais, qui cherchent à explorer les réalités et les histoires des banlieues sénégalaises à travers le prisme du cinéma.
Son dernier film, Xalé, dernier volet d’une trilogie, explore un aspect sous-jacent de la dimension spirituelle, en mettant en scène les multiples présences des esprits ancestraux sous diverses formes. Ces esprits se manifestent à travers des chants, mais aussi par des apparitions, comme celle de Ndeuk Daour Mbaye, le cheval blanc et génie protecteur de Dakar, selon la cosmogonie lébou. Au-delà de la question du genre qui traverse cette trilogie, Xalé renferme un langage profondément spirituel. C’est la manière choisie par le cinéaste pour rappeler la présence des fantasmes de la ville, mettant en lumière l’héritage culturel et spirituel qui persiste au cœur de l’urbanité moderne.
Le travail de Moussa Sène Absa est représentatif d’une génération de cinéastes sénégalais, dont Mansour Sora Wade et Dyana Gaye, qui s’inspirent des « maîtres » de la culture en utilisant la couleur, des images étonnantes, et en collaborant étroitement avec diverses formes d’art de la performance. Sène Absa montre un Sénégal qui reconnaît la valeur de tous ses habitants, s’adressant et valorisant les jeunes et les vieux, les hommes et les femmes, la politique et la poésie de sa société.
Nous avons eu le privilège de passer quelques moments de détente avec Moussa Sène Absa lors de son passage à Barcelone pour présenter son film Xalé au festival de cinéma africain Wallay, du 25 au 31 mai 2023. Profitant de cette occasion, nous avons mené un entretien qui nous a permis d’explorer les choix esthétiques de l’artiste, ainsi que son imaginaire, afin de comprendre son enracinement dans sa culture et son ouverture vers le monde.
2. Entretien
SB : En plus du cinéma, vous explorez d’autres formes d’expression artistique, notamment la peinture, la musique et le théâtre. Vous êtes également scénariste, acteur, metteur en scène, et bien d’autres choses encore. Vous êtes une personnalité multidisciplinaire difficile à définir.
MSA : En général, quand les gens me demandent pourquoi je fais autant de choses, je réponds que je suis comme un oiseau. Vous savez, un oiseau ne se contente pas de voler. Un oiseau marche, saute, court, reste immobile. C’est ainsi que je me définis. Je ne suis pas quelqu’un qu’on peut catégoriser comme étant uniquement ceci ou cela. Parce que nous ne sommes jamais statiques, tout est en perpétuel mouvement. Nous ne nous baignons jamais deux fois dans le même fleuve. Nous évoluons constamment, nous ne sommes jamais les mêmes. Je change, j’évolue sur plusieurs fronts. Je peins, je compose de la musique, j’écris pour le théâtre, j’écris pour le cinéma. J’aurais aimé être danseur. Je suis un éclectique qui pense que la création ne se limite pas à une seule chose. C’est un peu comme l’image de l’oiseau.
SB : Comment en êtes-vous arrivé à embrasser l’art, plus particulièrement le cinéma ?
MSA : Je suis arrivé tardivement dans le cinéma, mais j’ai toujours eu le désir d’être cinéaste. Ceux qui connaissent mon travail, mon film Twist à Poponguine, je ne sais pas si vous l’avez vu, résume un peu mon cheminement vers le cinéma. À l’âge de 15 ans, j’étais déjà un « rat de cinéma ». Je passais mon temps dans les salles comme El Agbar, Liberté, El Mansour, etc. J’avais une voisine qui est devenue comme une sœur, Mame Binta Ndiaye. C’est elle qui a éveillé en moi l’amour pour le cinéma. Elle adorait le cinéma hindou, et le premier film que j’ai vu était d’ailleurs un film hindou. Plus tard, pendant mes études secondaires et universitaires, j’ai toujours été fasciné par le cinéma et le théâtre. Ensuite, j’ai voulu devenir acteur.
ML : Un peu comme Djibril Diop Mambéty, non ?
MSA : Comme Djibril, oui. Je voulais être acteur. C’est en voulant devenir cinéaste qu’une fois arrivé à Paris, je me suis lancé dans la figuration. J’ai commencé par le théâtre, jouant dans Œdipe de Sénèque, par exemple.
SB : Et pourquoi acteur ?
MSA : Mon objectif était de comprendre comment se déroule un tournage. J’ai ainsi participé en tant que figurant à de nombreux films français, tels Espionne et Tais Toi de Claude Boissol, Périgord Noir de Nicolas Ribowski, et j’ai travaillé avec d’autres cinéastes comme Jean Claude Brisseau. À Paris, j’étais bien intégré dans ce milieu. J’étais très proche de cinéastes comme Claude Faraldo, réalisateur de Themroc et Deux Lions au Soleil. Ils m’ont accueilli comme leur protégé. Et vu que je savais cuisiner, ils m’invitaient fréquemment chez eux le week-end, et je cuisinais des plats sénégalais comme le Yassa et le Mafé. J’étais un peu devenu le coursier de la maison. Claude a joué un rôle très important dans ma formation en tant que cinéaste. C’est lui qui m’a encouragé à suivre ma voie dans le cinéma.
SB : Claude était pour vous ce que Vieyra était pour Sembène Ousmane ?
MSA : Absolument, il avait un rôle similaire dans ma vie. Mais il y avait aussi de la volonté personnelle. J’ai toujours eu le désir profond de devenir cinéaste. Après l’obtention de mon baccalauréat, j’ai même demandé une bourse pour étudier le cinéma. Malheureusement, ma demande de bourse a été refusée. J’avais pourtant passé le Bac avec une mention, mais je n’avais pas de « bras longs ». Par la suite, j’ai constaté que ceux qui avaient obtenu des bourses pour étudier le cinéma n’étaient pas nécessairement devenus cinéastes. Mais ça, c’est une autre histoire. Pour ma part, je ne voulais que cela : devenir cinéaste, et le destin a fini par me choisir.
SB : Le destin ou plutôt la passion ?
MSA : Les deux. La passion nourrit le destin. J’ai eu la chance de bénéficier des deux. Je me suis inscrit à l’université Paris VII - Jussieu pour suivre une licence de cinéma. J’ai suivi des cours pendant trois mois avec Jean-Claude Brissot, qui enseignait le scénario. Il y avait aussi un autre enseignant, dont j’ai malheureusement oublié le nom, mais il était un critique de cinéma réputé. J’ai suivi ces cours tout en travaillant occasionnellement dans des restaurants.
SB : C’était vers quelle année ça ?
MSA : C’était aux alentours de 1984-85. À partir de 1986, j’ai commencé à écrire des scénarios, dont Le Prix du Mensonge, Leul, Twist Again. J’ai envoyé Le Prix du Mensonge au GREC (Groupe de Recherche et d’Essai Cinématographique) à Paris, un fond destiné à aider les cinéastes débutants à réaliser des courts-métrages. Un jour, j’ai reçu un appel. Je me souviens toujours de ce jour-là. J’étais avec des amis, en train de travailler comme veilleur de nuit. À cette époque, il y avait ce qu’on appelait les « bibop », une sorte de petite machine que vous utilisiez pour lire vos messages sur le téléphone. J’ai lu le message et j’ai écouté : « Moussa, vous avez reçu 30 000 francs pour réaliser votre film, Le Prix du Mensonge ». La semaine suivante, j’avais déjà commencé à faire mon casting mentalement. Nous avons ensuite commencé à travailler sur les lieux de tournage, les décors, et nous avons progressivement constitué l’équipe. Je crois qu’une semaine plus tard, nous tournions déjà le film. Le film a été bien accueilli et a été demandé dans de nombreux festivals. Nous sommes même allés au Festival de Carthage, où nous avons remporté le Tanit. J’ai également participé à des festivals à Berlin et à Arles. C’était une période de voyages incessants. Le Prix du Mensonge a été le film qui m’a véritablement propulsé. Tout le monde me demandait alors : « Quel sera ton prochain film ? » Depuis lors, je n’ai jamais cessé de créer.
ML : Une critique sociale, ne serait-ce que par son titre, Le Prix du Mensonge.
MSA : Je pense que, jusqu’à aujourd’hui, c’est l’un de mes films que j’apprécie le plus. Mon premier film était par ailleurs très réussi. Les gens disent même que c’était mon meilleur film. Djibril lui-même avait dit que c’était mon meilleur film. L’histoire était simple : deux frères vivent à Paris, l’un pensant que vivre à Paris, c’est une finalité, la nuit, les filles, la fête, des rencontres amoureuses et d’insouciance. L’autre frère, joué par Maka Kotto, qui est devenu plus tard ministre de la Culture au Québec, travaille dur. Tout son rêve est de retourner chez lui. Par la suite, il y a une lettre de leur mère, l’une des plus belles lettres que je n’ai jamais écrites pour le cinéma, qui joue un rôle central dans le film. C’est cette lettre qui a finalement servi de trame à ce court-métrage de 18 minutes. Mais à l’époque, tout le monde me demandait : « Quel sera ton prochain film ? » Comme j’écrivais beaucoup, je pouvais passer des journées entières à écrire. En tant que veilleur de nuit, mon travail consistait principalement à appuyer sur un bouton, ce qui me laissait beaucoup de temps pour écrire à la main. J’ai encore en ma possession des manuscrits de cette époque, des centaines de pages que j’ai écrites. Parfois, je tirais simplement quelques pages au hasard, je les lisais, et cela devenait le point de départ d’une nouvelle histoire. J’étais très prolifique à cette période.
ML : Comme les anciens, qui écrivaient toujours à la main.
MSA : Oui, j’écrivais beaucoup à la main. J’ai beaucoup de manuscrits. Mais il se trouve qu’en 1989, je voulais réaliser un film qui, à l’époque, aurait été une véritable révolution pour le cinéma africain, je l’avais intitulé Le Sang du Baobab. Ce film devait être produit par André Lazare de Capital Cinéma, avec la participation de Pierre Tati, le fils de Jacques Tati. Tout était prêt : le contrat était signé, le casting effectué, les costumes prêts, les repérages réalisés… À seulement deux semaines du début du tournage, l’argent a été détourné. C’était incroyable, l’argent avait disparu, et il n’y avait plus de financement pour le film. Le matériel de tournage était déjà en route depuis Bordeaux. J’étais à Dakar à ce moment-là, je me souviens très bien, j’étais à la Croix du Sud. Tout était prêt, le casting était fait, j’étais sûr que le tournage commencerait dans deux ou trois semaines. Puis, par un coup de téléphone, on m’a annoncé que tout s’arrêtait. À partir de ce moment-là, je ne veux plus entendre parler de ce scénario. Parfois, je tombe là-dessus dans mes archives, et je me dis, « Oh là là ». Cette période a été très difficile pour moi. Mais c’était important aussi. J’ai passé une semaine de dérive à Dakar, et je pense que c’était l’une des semaines les plus terribles de ma vie.
SB : On dirait que vous avez été victime du fantasme de la production, comme beaucoup de cinéastes africains de l’époque. Comment avez-vous réussi à supporter et surmonter cet échec ?
MSA : C’est ma mère qui m’a sauvé. Elle a joué un rôle essentiel en me soutenant dans cette période difficile. Je me souviens d’un moment particulier où j’étais vraiment désespéré. J’étais rentré chez ma mère dans un état d’ébriété complète, incapable de tenir debout. Ma mère m’a laissé dormir et me dégriser seul dans ma chambre. Le lendemain, elle m’a demandé ce qui n’allait pas. J’ai partagé mes préoccupations avec elle. À ce moment-là, elle m’a dit : « Écoute, pour me faire plaisir, je veux que tu arrêtes de boire pendant un an. Tu vas rester ici cette année, et tu ne boiras plus. Tu vas réfléchir. » J’ai accepté ce défi, et durant cette année, je ne buvais que des boissons gazeuses, même lorsque j’allais dans les bars. Tout le monde me regardait bizarrement en se demandant ce qui se passait. C’était une étape importante pour moi.
SB : Et par la suite ?
MSA : Ensuite, pour me venger de mon échec précédent, j’ai écrit rapidement une nouvelle histoire. À ce moment-là, j’avais un peu d’argent et j’avais rencontré une petite amie américaine, ce qui m’a un peu éloigné de la réalité. Dans cet état d’euphorie, j’ai créé Ken Bugul. Cependant, ce film a été un échec total.
SB : Qu’est-ce qui s’est passé ?
MSA : C’est simple, j’ai voulu me venger du cinéma, de l’art en général. Je voulais régler des comptes, mais le cinéma n’est pas le lieu pour cela. Il faut accepter que les choses se passent comme elles doivent se passer, sans chercher à se venger. Parfois, il est important de comprendre que si quelque chose ne fonctionne pas, il y a des raisons sous-jacentes à cela. Il faut faire preuve de patience et d’intelligence pour découvrir ces raisons et les surmonter.
SB : Que s’est-il passé entre-temps ?
MSA : Entre-temps, j’ai recommencé à faire la navette entre Paris et Dakar. Je participais beaucoup aux festivités, j’étais souvent à Dakar, mais surtout à Paris. Tout le monde me demandait : Et ton film ? Certains se moquaient même de moi. Mais j’avais écrit Ça twiste à Poponguine. Comme vous l’avez mentionné, le destin joue un rôle essentiel, mais la passion est également cruciale. À l’époque, Hervé Bourges avait lancé un programme appelé les « Les 100 premières œuvres » en tant que directeur d’Antenne 2 et de France 3, France Télévision. Mon projet Ça twiste à Poponguine a été sélectionné pour ce programme, ce qui m’a permis de réunir une équipe de production française pour le film. J’ai investi beaucoup de temps et d’efforts dans ce projet, et j’ai finalement gagné de l’argent avec le film. J’ai pu acheter une maison pour ma mère. Je voyageais beaucoup entre Dakar et Paris, et j’ai réalisé Ça twiste à Poponguine, qui est sorti en décembre 1993 sur France 2.
ML : Vous avez joué un petit rôle dans ce film. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette expérience d’acteur ?
MSA : Un tout petit rôle. Un tout petit rôle d’une minute. Quand le film a été fini, tout le monde me demandait le prochain projet, et j’avais deux choses que je voulais faire. J’avais Tableau Ferraille, mais j’avais écrit aussi écrit un opéra qui s’appelle La légende de Ruba. Je voulais toujours revenir au théâtre. Pour moi, le théâtre est vraiment un outil. Jusqu’à présent, j’ai envie de revenir au théâtre. J’ai envie de réécrire pour le théâtre. Parce que le théâtre se meurt malheureusement.
ML : Et qui est en train de tuer le théâtre ?
MSA : En tout cas, chez nous, ça se meurt. Un grand théâtre, comme Le Grand Théâtre, chaque fois que j’y pénètre, j’ai l’envie de monter un opéra. Comme La Traviata ou Aïda, ces grands opéras, je rêve de ça. Alors, de 1992 à 1993, j’ai mis en scène La Légende de Ruba, au Sorano. J’étais toujours partagé entre ces deux choix : continuer le théâtre ou me consacrer au cinéma. Mais j’avais déjà écrit Tableau Ferraille. Entre-temps, j’ai réalisé Yalla Yaana, un moyen métrage de 45 minutes.
SB : Le cinéma a finalement pris le dessus sur le théâtre ?
MSA : Je dis souvent que je ne fais pas de cinéma, mais que le cinéma se fait en moi. Ce n’est pas moi qui choisis de faire du cinéma, c’est le cinéma qui m’appelle. J’essaie de contrôler les choses en me disant « Je veux faire ça ! », mais à chaque fois que je le dis, je ne le fais pas et je réalise autre chose, peut-être tout aussi intéressante que ce que je voulais faire. Je laisse les choses suivre leur cours.
SB : En laissant place à l’imagination.
MSA : Exactement, c’est ça.
SB : Vos films ont trouvé un équilibre subtil entre l’insouciance de Mambéty et le réalisme caustique de Sembène. Ces deux cinéastes vous ont-ils influencé ?
MSA : C’est probablement un peu surprenant, mais le cinéma qui m’a vraiment marqué, c’est le cinéma hindou.
ML : Ça se voit à travers la musique, par exemple.
SB : Mais aussi la forme, l’esthétique ?
MSA : Oui, l’esthétique aussi, mais elle évolue. En ce qui concerne la forme du cinéma que je pratique, j’ai été davantage inspiré par le cinéma hindou. Tu sais, quand je suis arrivé à Paris, j’ai découvert des réalisateurs comme Godard et d’autres comme Andrei Tarkovsky, mais c’est Satyajit Ray qui est devenu l’un de mes maîtres lorsque j’ai réellement commencé à m’intéresser au cinéma. Cependant, je ne connaissais même pas des noms comme Truffaut à l’époque. Ces cinéastes ne m’intéressaient pas. Nous regardions des films hindous, des westerns, des films de cow-boys, des films de gangsters, comme on les appelait.
SB : Et pourtant Sembène et Mambéty avaient déjà réalisé de grands films tels que Mandabi, Ceddo, ou Touki Bouki.
MSA : Oui, mais pour moi, à cette époque, cela n’était pas du cinéma. Je me rappelle, quand j’ai vu Touki Bouki la première fois, je voulais jeter des pierres à l’écran. Je ne comprenais rien. Je me suis dit, « il se fout de la gueule des gens, ce mec, qu’est-ce qu’il nous a sorti, avec ces cornes, c’est quoi cette histoire ? Je n’ai pas du tout accroché. » Quand j’ai vu Ceddo, je l’ai détesté. Je me disais, c’est quoi ce cinéma-là ? Ce qu’il me raconte, ça ne m’intéresse pas.
SB : Tu voulais de l’action.
MSA : Ah oui, pour moi, c’est le cinéma d’action et des romances.
SB : Madame Brouette, c’est un bon western et Twiste à Poponguine a des éléments de gangstérisme, avec les trois inséparables et leurs escapades audacieuses.
MSA : En effet, Twiste à Poponguine a un côté un peu West Side Story. C’est ce qui me lie au cinéma. Mais le cinéma occidental ne m’attirait pas vraiment. En fait, j’ai compris ce type de cinéma plus tard, lorsque j’ai travaillé aux côtés de Djibril, car j’étais son premier assistant sur Hyènes. J’ai eu l’occasion de le côtoyer beaucoup, de passer des nuits entières avec lui, de réellement le connaître en tant qu’homme. Il me considérait comme son petit frère, voire plus que cela, puisque ce que j’obtenais de Djibril, Wasis (le frère de Djibril) ne pouvait pas l’obtenir. Par exemple, quand nous devions tourner le matin, Wasis me disait, « Moussa, va réveiller Djibril. » C’était moi qui m’en chargeais. Parce que si jamais Wasis s’y risquait, cela tournerait à la catastrophe. Djibril l’enguirlanderait, serait insupportable toute la journée. Mais lorsque j’arrivais, je m’asseyais, Djibril se réveillait, je lui préparais son café, il se réveillait peu à peu, et nous commencions à discuter. Je n’abordais pas immédiatement le sujet du travail. Au contraire, je parlais de lui, du temps s’il faisait beau, j’essayais de l’écarter du terrain concret du travail. Nous discutions de tout, sauf du travail. Il fallait qu’il prenne le temps de se réveiller et de se sentir à l’aise. Je lui parlais d’autres films, des choses qui l’intéressaient, avant de plonger dans les détails du tournage.
SB : Il était si viscéral, Djibril ?
MSA : Djibril, la manière dont les gens le dépeignent est très fausse. Il était à la fois un demi-ange, un ange et un démon en même temps. Il incarnait les deux aspects simultanément. Du jour au lendemain, il pouvait changer.
SB : C’est peut-être son approche mystique de l’art, cette imagination magique qui le reliait à la création artistique, à sa propre conception de la lumière.
MSA : Il était véritablement un homme possédé, un créateur possédé, qui avait une vision que lui seul pouvait comprendre. Il ne s’exprimait pas comme je le fais par exemple. Djibril, il pouvait rester là, tu lui posais une question, il te regardait pendant 10 minutes, et tu ne savais pas ce qu’il allait dire. Puis, il parlait d’autre chose, avant de revenir sur ta question, et en une seule phrase, il te livrait toute la profondeur de sa pensée.
SB : Poétique.
MSA : C’était un véritable poète. Et c’est incroyable, lorsque tu regardes le manuscrit de Djibril, sa calligraphie est presque identique à celle de Cocteau (Jean Cocteau) : certains traits distinctifs de la poésie de Cocteau comprennent l’utilisation de l’imagerie suggestive, de la métaphore et du symbolisme pour exprimer des émotions et des idées profondes. Si tu prends un manuscrit, et tu compares la calligraphie de Cocteau et celle de Djibril, elles se ressemblent sans aucun doute, c’est une coïncidence curieuse.
SB : Avez-vous fréquenté Sembène, Il semble qu’il avait, lui aussi, un caractère difficile.
MSA : Sembène, je ne l’ai pas beaucoup fréquenté, mais la première fois que je l’ai rencontré, il m’a engueulé.
SB : C’était où et pourquoi ?
MSA : C’était à Carthage. Il m’avait dit, « Vous êtes des nullards, vous vous prenez pour des prétentieux. » Il m’avait traité de tous les noms. Il faut dire que moi, à l’époque, j’étais sauvage. Mais plus tard, quand il a compris que je m’appelle Moussa, homonyme de son père, dès qu’il était de bonne humeur, il m’appelait « papa ». « Eh papa, comment vas-tu ? » Donc, il avait un côté extrêmement tendre avec moi. Mais Sembène était lunatique, très lunatique. Il pouvait être gentil une minute, et la minute d’après se comporter comme un monstre. Alors, tu vois, je ne savais pas si je devais aller vers lui, ou si je devais rester dans mon coin.
SB : Il parait que vous avez aussi eu un autre accrochage à FESPACO ?
MSA : Ah oui, oui.
SB : Que s’est-il passé ?
MSA : Parce que je me suis assis là où il ne fallait pas s’asseoir. Je me suis assis dans l’arbre à palabres qu’ils avaient à l’Hôtel Indépendance, où ils avaient leurs chaises. Il y avait Lionel Ngakane, Tahar Chèriaa, Med Hondo et Sembène. Seulement eux pouvaient s’asseoir là-bas. Moi, je me suis assis là-bas, j’étais avec une copine. Mais ce n’était pas que Sembène qui était fâché. Lionel est devenu complètement hystérique et m’a crié en me disant « Get out of here ». Je suis parti en me disant « Putain, ils font chier ces vieux-là ! ». Mais après un certain temps, Sembène m’a appelé et m’a demandé « C’est quoi ton film ? » Par la suite, il est venu regarder mon film.
SB : Lequel ?
MSA : Le Prix du Mensonge. Il a dit, « C’est pas mal, c’est bien : continue, c’est bien. » Et plus tard, il m’a surpris un jour. Il est venu sur mon plateau de tournage. Je tournais Tableau Ferraille. J’en garde un souvenir jusqu’à aujourd’hui. Je le revois, adossé à un camion de machinerie, et il m’a demandé de lui montrer comment je tournais. Donc, voilà ma relation avec Sembène.
SB : Et pourtant certains de ses collaborateurs disent qu’il n’était pas assez ouvert et généreux envers les jeunes générations. Qu’il ne pensait qu’à son art.
MSA : Moi, il m’a touché lorsque je tournais Tableau Ferraille. Cela avait beaucoup d’importance pour moi à cette époque. Et c’est à ce moment-là que j’ai tout pardonné. Parce qu’il m’avait engueulé, je me souviens des histoires.
SB : On dirait que vous lui avez dédié Xalé, qui est une sorte un clin d’œil à Xala (Sembène 1975)
MSA : Oui, exactement. Le film Xalé s’appelait Adama et Awa (Adam et Eve). Et après, j’ai vu un film de Corée qui s’appelle Adama et Awa. Et puis, il y a d’autres films qui s’appelaient Awa. Par ailleurs, Hawa, c’est une attaque. Il fallait changer. Il fallait trouver un nom. Et puis, l’idée m’est venue de Xalé et automatiquement le film Xala de Sembène m’est venu à l’esprit.
SB : Atoumane est atteint d’une sorte de « Xala » spirituel.
MSA : Exactement. Je me suis dit, si je mets « Xalé » ou « Xalébi ». Après, j’ai écarté « Xalébi ». Parce que le « bi » en wolof c’est trop définitif. J’ai finalement décidé de mettre Xalé, qui signifie juste l’enfant.
SB : Sans spécifier le genre.
ML : C’est ambigu.
MSA : C’est ça, c’est ambigu. Par la suite, en réfléchissant, je me suis dit en fait, Xalé est non seulement un clin d’œil à Xala, mais c’est aussi un hommage à Sembène. Et je me suis dit, je vais l’appeler « Xalé ». Parce que, pour moi, Sembène est une figure, une figure majeure du cinéma. Ce n’est pas seulement une figure du cinéma africain, c’est une figure du cinéma tout court. Il a réussi à laisser une empreinte indélébile dans le monde du cinéma. Il a façonné un certain récit, un récit politique, un récit sociologique, un récit révolutionnaire même, dans nos histoires. Il a réussi à apporter sa contribution à notre histoire.
SB : Avec une dimension profondément critique.
MSA : Une dimension très critique. Et très subtile. Il est très subtil Sembène. Il n’est pas frontal.
MSA : Il faut lire Sembène sur plusieurs couches. Il a plusieurs niveaux de lecture. Et Sembène, pour moi, en dehors de l’écrivain, parce que je pense que la réflexion de l’écrivain a beaucoup aidé dans son cinéma. L’écrivain est solitaire. L’écrivain essaie d’assembler des choses dissociées, de raconter des choses avec une certaine précision, tout en laissant l’imaginaire fonctionner. Et lui, avec le cinéma, il a réussi à amener la littérature, l’écrit, à l’écran. De l’écrit à l’écran, il y a un prisme, un tamis, qui s’appelle Sembène. Et chez Sembène, tout est fondamental. Son enfance, son service militaire, l’armée, le travail de docker, le parti communiste. C’est l’emblème de l’intellectuel total. Un intellectuel total qui n’est pas l’intellectuel d’aujourd’hui, un intellectuel plus ou moins complaisant. Je me pose souvent la question, si Sembène était vivant aujourd’hui, quelle serait sa position sur le cinéma, sa position sur le monde ?
ML : Ou sur ce qui se passe aujourd’hui au Sénégal.
MSA : Je pense qu’il aurait pris une position franche, ou il serait juste allé voir le président et lui dire ses pensées. Il aurait demandé à rencontrer Macky Sall, et il l’aurait dit.
SB : Mais on dirait que cette position critique lui a parfois porté préjudice actuellement. On a l’impression qu’il y a une sorte de revanche des institutions ?
MSA : Ils ont essayé de le faire oublier. Tu vois, les politiques ont cette force.
SB : Les politiques ou les religieux ?
MSA : Les religieux et les politiques, ce sont les mêmes choses pour moi. Ils ont cette habitude de mettre les gens au placard pour les bannir, simplement. Pas pour des raisons objectives, mais parce que leurs intérêts sont en jeu. Senghor a eu cette intelligence et cette élégance de faire un discours plus ou moins intellectuel avec Sembène à propos de Ceddo. Parce que c’était un discours très intellectuel. C’était au niveau des idées. Aujourd’hui, Macky Sall lui aurait envoyé les inspecteurs des impôts pour le faire chier. Tu vois ? Du jour au lendemain, il aurait été ruiné. Puisque ces gens-là n’ont pas l’élégance et la culture qui pourraient les amener à accepter un créateur. Il est vrai que de nos jours, nous avons des artistes qui se désintéressent des actions des politiques et utilisent leur art comme une forme de revanche sociale. Beaucoup d’entre eux viennent de milieux défavorisés, n’ont pas eu accès à une éducation formelle, mais réussissent néanmoins à accéder au cercle d’élite dans notre pays. Grâce à leur talent artistique, ils peuvent et veulent avoir une chaise à côté du chef. Cependant, malgré leur succès, ils ressentent un profond complexe d’infériorité. Donc, ils s’en foutent du peuple.
SB : Ce qui rend nécessaire de parler de l’héritage de Djibril et Sembène.
MSA : Tout à fait. Par exemple, je n’ai jamais vu Djibril avec quelqu’un d’important, ni un Ministre ni un député. Ces meilleurs amis étaient des « rats de bars ». C’était son univers. Il comprenait mieux ces gens-là, c’est « petites gens » que les élites. Et pourtant il était lui-même un grand intellectuel qui avait une réflexion extraordinaire sur le monde. Aussi bien lui comme Sembène étaient des marginaux dans la mesure où ils n’étaient pas toujours dans les pattes des autorités, les festivités, tu ne les vois pas dans les mondanités, quand il y a une fête, etc. Tu ne les vois nulle part. Ils n’étaient pas là. Pour moi, Sembène et Djibril ont marqué l’art et particulièrement le cinéma africain parce qu’ils avaient une voix. Dans les deux sens de la voix. VOIX et VOIES, ils ont tracé des voies. Ils ont réfléchi sur comment arriver à faire un récit qui ne soit pas un récit qui ressemble à quelque chose. Leurs récits ne ressemblent au récit de personne d’autre.
ML : Mais pas seulement le récit. Il y a aussi cette capacité de dénonciation, comme dans vos films.
MSA : Mais c’est parce que, justement, il faut avoir une voix unique. Comme je dis souvent à mes étudiants, la photocopie ne sera jamais à la dimension de l’original. Si tu veux faire comme Spike Lee ou Denzel Washington, ça ne sert à rien. Cependant, si tu veux faire comme ton grand-oncle ou ton grand-père, ou quelque chose que tu vois dans le village, comme le film Lettre paysanne (de Safi Faye), c’est quelque chose de très personnel. Tu vois que l’auteur a un propos, il a une dimension, il a une réflexion sur lui-même, sur sa communauté, sur son monde. Il développe un récit et produit du sens. Il n’est pas dans le mimétisme. Et moi, c’est ça qui m’intéresse. Arriver à faire que mes films ne soient pas des films qui ressemblent à… où « c’est comme si … » Je dis non ! En revanche, ce qui m’intéresse dans le récit, c’est que moi, quand tu vois mon récit, mes films, tu me vois tenir les deux. Un scénariste doit ressembler à ses films. Djibril ressemble à ses films. Sembène ressemble à ses films. Idrissa (Ouédraogo) ressemble à ses films. Souleymane (Cissé) ressemble à ses films. J’ai passé une semaine à New York avec Souleymane. Et on a eu beaucoup plus de temps pour parler. Je découvre en fait quelqu’un que je n’ai pas beaucoup approché et qui est d’une sensibilité. Lui, je pense que tout son récit est ancré dans sa terre. C’est quelqu’un de fondamental : Baara, Finye, Yeeleen… C’est un homme fondamental. Quand je dis fondamental, je veux dire que ses racines ne bougent pas de là. Il est là. C’est comme un baobab. Tu ne peux pas le pousser pour que ça tombe. Il est immense. Cependant, il est d’une fragilité incroyable. Tu sais, un baobab, quand il tombe, les gens se demandent : Comment il est tombé ?
SB : Parce qu’il se forme et se défait de l’intérieur.
MSA : C’est ce qui est dedans. Ce sont des êtres immenses et fragiles en même temps. Pour moi, ce sont des gens qui ont acquis une maîtrise exceptionnelle dans leur domaine. Qui ont tellement réfléchi. C’est comme des orfèvres. Ils connaissent les secrets de leur métier. Ils peuvent raconter des histoires sans jamais s’arrêter. Mais quand ils veulent raconter une histoire, ils y mettent toute leur douleur, leur sang, leur enfance, leurs réflexions, leur passé, leur frustration, leur solitude. Ils mettent tout ça dans un film. C’est ce que tu trouves dans Sembène, c’est ce que tu trouves dans Djibril, c’est ce que tu trouves dans Souleymane. C’est ce que tu trouves dans Med Hondo aussi. Pour moi, ce sont des cinéastes qui ont marqué le cinéma africain. Pas par le nombre de films qu’ils ont faits, mais par la qualité de leur récit. Ce sont des gens qui ont écrit quelque chose qui ne s’écrit pas. Tu vois ? Qui ne s’écrit qu’avec une connaissance. Quand je dis connaissance, c’est la « Co-naissance ». C’est quelque chose qui est fondamental, qui est né avec soi. Et pour moi, le parcours de ces personnes-là, ce sont des parcours élogieux. Mais en même temps, des mises en abyme des individus. Quand tu vois la vie de Djibril, ce sont des mises en abyme de l’univers, de son parcours, de son univers. Il était complètement possédé par des anges. C’est son nom, Djibril. Il est toujours en transe, presque. Sembène est quelqu’un de très lunatique. Il est heureux et la seconde après, il est violent, il a une gueule. Et puis, quand tu prends quelqu’un comme Souleymane, dont la fille a fait un portrait magnifique, son film, le film de sa fille, Fatou (Hommage d’une fille à son père : Souleymane Cissé). Ah oui, ça d’abord. C’est très tendre. C’est un très beau film que j’ai eu l’occasion de voir à New York. Et tu découvres une personne d’une simplicité. Qui est émerveillée par le monde. Il a une innocence dans le regard. Il ne fait pas les choses avec des complications. Ce sont des gens simples. À la limite, simples d’esprit, mais dans le bon sens. Simple d’esprit, c’est qu’il ne se complique pas la vie pour comprendre quelque chose. Il dit ce qu’il pense de la chose, et en le disant de la manière la plus simple, il nous touche et nous révèle beaucoup de choses. Une simplicité extraordinaire.
ML : De la même façon que Souleymane, par exemple, il est très enraciné dans ses origines. Vous aussi, vous avez un choix de lieu assez particulier. Un quartier très populaire.
MSA : Moi, je tourne tout dans mon quartier, à Tableau Ferraille. Tu vois, je pense que c’est ma mémoire d’enfant qui guide mon écriture déjà. Mais ma mémoire d’enfant est liée à Tableau Ferraille. Alors, quand j’écris, même quand je décris une ruelle, je vois une ruelle de Tableau Ferraille, une ruelle de mon enfance. Quand j’écris une cour, je vois une cour. Et souvent, j’écris les cours où je veux tourner. Les dispositions des chambres, comment se passe la cour, qu’est-ce qui se passe à l’avant. Donc je visualise tellement. Et si j’arrive et que le décor a changé, je suis un peu perturbé. Parce que tout a changé, évidemment. Donc, j’essaie d’adapter mon enfance à ce qui se passe aujourd’hui. À Tableau Ferraille, j’ai tourné d’abord Yalla Yaana. J’ai tourné Tableau Ferraille. J’ai tourné Madame Brouette. J’ai tourné Teranga Blues. J’ai tourné Xalé. J’ai tourné la série GoorGorolou (Le débrouillard). C’est mon Hollywood. C’est mon studio de cinéma. Les gens me disent : « Pourquoi tu ne vas pas tourner dans un autre endroit, on va faire ça en studio. » Je dis : « Studio, moi, je ne peux pas. » Tu me mets dans un studio, je suis perdu. Parce que je n’arriverai jamais à retrouver mes sensations. Mes sensations liées au décor.
SB : C’est curieux, c’est un peu du « néoréalisme sentimental ».
MSA : Bien sûr. Tu sais, c’est comme quelqu’un dont on ne parle pas beaucoup, mais qui est pour moi un grand cinéaste. C’est Ben Diogaye Beye. C’est un scénariste extraordinaire. Difficile aussi. On a tous des démons dans la tête. Lui, ses démons sont plus forts que lui parfois. Mais c’est quelqu’un d’une extrême intelligence du cinéma. Et je pense que c’est ça qui va…
SB : Il vous a assisté dans Xalé comme scénariste. J’ai également lu le scénario de Thiaroye 44 dans les archives de Sembène à la Lilly Library à L’université d’Indianaà Bloomington. Fabuleux.
MSA : Oui, tu vois, c’est très différent, eh ? (Rire)
SB : En effet, c’est différent. Mais ça, c’est une autre longue histoire. Selon vous, qu’est-ce que toutes ces figures du cinéma sénégalais ont apporté au cinéma africain ?
MSA : Je pense qu’il y a dans le cinéma africain une touche sénégalaise qui est extrêmement importante. Cette touche, c’est l’urbanité, mais plus précisément le fantasme de l’urbanité. Il s’agit d’une forme de sublimation de l’urbanité, où celle-ci ne se limite pas simplement à la ville, mais englobe ce qui habite la ville de manière humaine, ainsi que les esprits qui l’entourent. Lorsque vous regardez Hyènes, vous réalisez que ce n’est pas uniquement le Colobane physique.
ML : L’enfance de Djibril.
MSA : C’est exact, ce sont les anges de son enfance, les rêves de l’enfance comme on peut les voir dans La Petite Vendeuse de Soleil. L’innocence de cette jeune fille et son regard sur le monde sont profondément poétiques. Cette génération avait le talent de raconter des histoires en y ajoutant de la poésie. À travers la poésie, ils créaient le drame, utilisant le drame comme une sorte de pelote. Plus ils tiraient sur cette pelote, plus elle se déliait. Toutes leurs histoires étaient comme des pelotes de fil. Ce qui était extraordinaire dans le cinéma de cette génération, c’était la coexistence de deux tendances : d’un côté, il y avait les poètes, et de l’autre, les révolutionnaires.
SB : Incarné en Djibril et Sembène ?
MSA : C’est ça les poètes et les révolutionnaires. Les deux camps. Et moi, je navigue entre les deux.
ML : À travers la musique ?
MSA : À travers la poésie. Je navigue entre les deux. Mais je ne veux pas ressembler à aucun des deux. Ni à Djibril ni à Sembène. Parce que je sais que leurs fondamentaux ne sont pas les miens, leurs parcours ne sont pas le mien. Mais je sais qu’on partage quelque chose. Trois choses qui sont pour moi fondamentales : C’est la terre, le terroir et le territoire.
SB : Parlons de votre trilogie : Tableau Ferraille, Madame Brouette et Xalé. Il y a un aspect de votre narration qui évoque parfois Sembène, en ce qui concerne votre perspective sur le genre. Mais cela ne signifie pas qu’il y ait une ressemblance directe. Sembène offre toujours une seconde chance à ses personnages masculins. En ce qui vous concerne… (Moussa commence à rire et m’interrompt.)
MSA : Non, je n’aime pas ça.
SB : Mais j’ai l’impression que vous avez donné une petite chance à Daam dans Tableau Ferraille, vous ne l’avez pas tué.
MSA : Daam est mort, il est perdu… Il est au cimetière. Il est mort. Il est mort socialement. Il est mort politiquement. Il est mort économiquement. Il est mort émotionnellement. Et il est devant le cimetière. C’est pire. Ce mec, il n’a plus rien. Même à la limite, matériellement, c’est-à-dire au niveau de son corps, devant le cimetière, il n’a qu’un seul voisin, ce sont les morts. Donc, il est mort.
SB : Dans Madame Brouillette, vous donnez l’arme du crime à une petite fille d’environ six ans. Ce qui est vraiment quelque chose de terrible du point de vue social. Qu’est-ce qui se passe dans la tête d’une gamine pour commettre de tel crime ?
MSA : Absolument. Moi, je suis un radical.
SB : C’est-à-dire ?
MSA : La mort de Daam c’est une mort poétique, plus poétique que les autres morts. Quant à la mort de Nago, les gens me demandent, pourquoi cette fille ? En fait, il y a une phrase extraordinaire dans le film. Quand elle parle à sa mère, elle dit, « Avant, on jouait, on était heureux. Mais depuis que tu l’as connue, je n’existe plus, tu ne ressembles plus à rien, et moi, je n’existe plus. » Ça, c’est la sentence pour moi. C’est-à-dire que voilà une personne qui est rentrée dans la vie de la mère d’une petite fille et qui a gâté la vie de sa maman. Et en gâtant la vie de sa maman, il lui a gâté aussi sa vie. Sa vie de petite fille, avant, elle était avec le bérouette, elle faisait « l’autre humain », elle était heureuse, en tout cas, elle n’était pas malheureuse. Mais quand Nago est rentré dans leur vie, il a corrompu la société, il a corrompu la famille, il a corrompu les relations humaines. Et à partir de ce moment-là, quand elle assiste à une violence que Nago exerce sur sa mère, et qu’il y a un pistolet à côté, elle tire. Elle tire.
SB : La mort de Daam est poétique, spirituelle, disons symbolique. Avec Nago, c’est un coup de feu improvisé et tout est fini, c’est rapide. Mais dans Xalé, nous assistons à un crime prémédité qui expose l’agonie d’Atoumane, comme un animal. On a l’impression que vous associez chaque acte à une forme de punition, comme une sorte de « justice poétique » ou de « châtiment mérité ».
MSA : Dans Xalé, c’est le souvenir du viol. L’ambiguïté du récit, c’est quand la fille annonce à sa mère le retour d’Atoumane, et la mère qui réagit « Est-ce qu’il ne t’a rien fait ? Qu’est-ce que t’a-il fait ? » C’est cette obsession qui l’emmène à dire « Mais en fait, si je laisse ça, il pourrait faire encore à ma fille, il pourrait aussi faire ça à d’autres filles. » Il est revenu, mais il n’a pas changé, parce qu’il est parti à l’Africa Queen. Il n’a pas changé, donc, c’est le même. Il n’y a plus de bénéfice, plus de circonstances atténuantes.
ML : Pas de possibilité de le sauver.
MSA : Il faut l’abattre, non pas pour elle, mais pour la communauté. En fait, quand elle raconte la mort à la fin, c’est ce qu’elle dit. Au début, j’étais contente de recevoir cette fille. J’étais heureuse. Et puis voilà qu’il est revenu, les démons se sont réveillés. Et quand elle nomme les démons, cela en dit long. Les démons, ce sont le diable, les forces du mal. C’est le diable et les démons qui réapparaissent dans sa vie. Tu vois ? Et lorsque le diable et les démons s’invitent dans une vie, il n’y a plus de raison. Pour moi, la mort d’Atoumane, je ne sais pas pourquoi, mais elle déclare : « Fi mu nee japnaa ba sett » (Là où je suis, j’ai fait mes ablutions, je suis propre). C’est comme une manière de se purifier. Parce qu’auparavant, malgré tout ce qu’elle avait accompli dans le salon de coiffure, malgré son amour pour son fils, il y avait quelque chose qui la tourmentait. Et cette chose, c’était le viol. Et lorsque le viol refait surface, comment peut-on continuer à vivre avec ?
SB : Du « healing violence » ?
MSA : C’est ça. Comment on dit en anglais, « healing violence », la violence qui guérit. Voilà !
SB : Alors, il y avait ce besoin de commettre le crime.
MSA : Le crime est purificateur. C’est pourquoi elle dit « japnaa ba sett ».
SB : Avant la dernière question, nous allons bientôt terminer. Parlons de la musique : Tout d’abord, il y a cet hymne funèbre chanté en wolof et non en arabe pour accompagner la dépouille de la défunte matriarche vers sa dernière demeure, comme on le dit au Sénégal. Les refrains chantés en wolof dans vos films donnent l’impression que vous associez un refrain à un état d’esprit spécifique, comme s’il s’agissait d’une autre dimension de vos personnages. Quel est le sens de la musique ?
MSA : Pour moi, la musique est un personnage à part entière. Dans tous mes films, je crée la musique avant de réaliser le film lui-même. Tout est en playback. La musique est l’épine dorsale du récit. Elle maintient le récit en place. Elle rend le récit à la fois direct et poétique. La musique offre une autre dimension à l’histoire. Que ce soit dans Tableau Ferraille, Madame Brouette, Xalé, ces refrains sont comme la rumeur. Ils représentent la conscience collective. Ce sont les paroles des ancêtres, des mots anciens. Ils incarnent la tradition dans son sens le plus profond. C’est ce qui permet aux personnages de prendre vie. Ces personnages ne sont pas des créations aléatoires. Ils sont conçus pour traverser l’histoire et enrichir le récit, lui apportant une certaine texture. Le récit n’est pas plat ; il peut être interprété à plusieurs niveaux. Dans Tableau Ferraille le refrain dit « Dame dawal mba nga gaday, Dame Gawal bala muy wees. Moye yow dawal yaayee, xana sa ndigui bi meti, tableau feraile ñowna ci leybi. » (Tableau Ferraille s’est réveillé dans la brume. Même le charognard s’est réveillé. Les tâcherons viennent juste de passer.) Tu te dis, de quoi il parle, il nous prépare à quoi ? Certes l’image dit déjà quelque chose. Mais la musique révèle autre chose. De beaucoup plus lointain.
ML : C’est comme une boîte de résonance.
MSA : Exactement, c’est comme une boîte de résonance. Tout ce que vous voyez ici résonne ailleurs avec des mots qui ne sont pas ceux d’ici, mais qui appartiennent à notre époque ou à une autre. Cela crée une tension poétique qui permet au public de se remémorer ces mots, qui résonnent dans leur esprit pendant que l’action se déroule. Pour moi, la musique ne doit pas être gratuite. Je n’aime pas la musique qu’on ajoute de manière arbitraire, sans signification. En Afrique, nous avons une chance extraordinaire. Quand nous naissons, nous chantons. Quand nous mourons, nous chantons. Lors de mariages, nous chantons. Au travail, nous chantons. Lors d’activités intimes, nous chantons même. Dans certaines sociétés, les chants accompagnent même les actes intimes, si vous me permettez l’expression.
SB : C’est une utilisation très subtile de la musique. Comme le son du djembé qui évoque les moments intimes dans Xalé à travers une mélodie typique de la lutte traditionnelle, vous établissez une analogie avec les corps des lutteurs qui entrent en combat, se confrontent, et même s’embrassent.
MSA : Pour moi, la musique, ce n’est pas seulement un chant, c’est une forme de gymnastique sonore qui permet au récit de se développer en douceur, sans brutalité. Je prépare psychologiquement le public à quelque chose dont il n’a aucune connaissance préalable, car je commence souvent par la fin. Les chants que j’utilise ont des paroles comme « Janxa bi ñowna joy te tanka’m sux, suff tax boo guiss ku mbax, Janxa bi… » (La jeune fille s’est réveillée. Elle s’est embourbée dans le sable. Elle a soulevé son pagne). Ces paroles vous perdent, mais en même temps, elles vous perdent dans un univers pour lequel vous n’êtes pas préparé. Vous vous demandez de quelle jeune fille il s’agit, celle qui s’est réveillée et a pleuré. Je vais essayer de me rappeler l’une des musiques que j’ai utilisées.
ML : Dans Xalé ?
MSA : C’est intéressant que vous abordiez cela. Dans Tableau Ferraille, il y a une scène dans laquelle l’on parle du père qui a disparu et de la mère qui est partie (ani yayi ani bayam). Ce qui est captivant, c’est que je cherche à établir une relation avec la musique qui ne se limite pas à une utilisation superficielle. Souvent, la musique est ajoutée parce qu’il n’y a rien d’autre à faire, comme une expression de l’état psychologique des personnages. Ou parfois, on ajoute de la musique à une scène qui semble morte pour la ranimer. Mais pour moi, la musique a un sens profond. Elle apporte quelque chose de significatif au récit. Ce n’est pas quelque chose que je place arbitrairement sur une scène. Je ne peux pas le faire de cette manière.
SB : D’ailleurs, même les sons naturels que vous sélectionnez paraissent expliquer quelque chose.
MSA : Pour moi, le travail du son est un travail extraordinaire. Mais quand tu vas voir les films de Djibril, tu vois l’importance du son. Extrêmement important.
SB : Parlez-nous de vos choix des couleurs.
MSA : Quand tu prends dans la trilogie les couleurs, quand tu prends Tableau Ferraille, par exemple, j’avais décidé que personne dans le film ne va s’habiller en bleu. À part les bayefals. Tu ne vois le bleu qu’avec ce groupe-là. Parce que le bleu a tellement de tendances dans le bleu. C’est une palette. Le bleu est une palette énorme. Et je me dis que si tu as une palette énorme et que tu mets un rouge, un rose, un orange, donc, tout est composé de blanc, simplement. Ou des couleurs de terre. J’effectue vraiment un travail sur la couleur comme sur une peinture. Parce que les couleurs ont un sens. Tu ne peux pas mettre des couleurs comme ça. Il y a des films, par exemple, que je vois et je vois qu’il n’y a pas un directeur artistique. Ça se voit tout de suite. Parce que si je prends toutes nos couleurs que nous avons, là, si je dois faire une scène, peut-être qu’il y a un personnage qui va s’habiller, qui va prendre cette chemise, mais pas ce pantalon. L’autre qui va prendre ce truc, qui va porter ce gilet, mais pas cette chemise. Donc, je vais essayer de faire une construction de palette graphique suivant les personnalités des uns et des autres. En tout cas, des personnalités que je veux montrer dans le film. Même si dans la vie de tous les jours, elle peut s’habiller comme ça. Mais dans mon film, non. Parce que ça veut dire autre chose.
ML : Dans Madame Brouette, les couleurs sont très vives et dans Xalé, il y a un grand travail de costumes.
MSA : Absolument. Moi, je travaille beaucoup les costumes. Puisque pour moi, les costumes, c’est l’habit du film. C’est comme la musique, ce sont des habits du film. C’est comme un film à une couleur. Il porte une couleur, il porte quelque chose avec ses formes, avec ses amplitudes. Comment arriver à ce que tu racontes soit en adéquation avec un visuel cohérent. Qu’il ne soit pas un visuel. Si tout est mélangé, tu ne sais pas. Il n’y a pas un travail, il n’y a pas une recherche. J’aime bien quand, dans une scène, je mets une touche. Une couleur que, dans le cadre, à un moment donné, cette couleur devient extrêmement importante. Parce que, même si ce n’est pas fondamental, ça donne une tonalité. On change de palette, on n’est pas monotone.
SB : Et pour terminer, parlons de l’aspect spirituel de Xalé. Ce qui capte surtout l’attention, ce sont les multiples présences des esprits des ancêtres sous diverses formes à travers les chants, mais aussi des apparitions, comme celle de Ndeuk Daour Mbaye (le cheval blanc), en tant que génie protecteur de Dakar selon la cosmogonie Lébou, si vous me permettez cette interprétation. Au-delà de la question du genre, j’ai eu l’impression que vous avez voulu vous adresser de façon particulière aux Sénégalais à travers « les fantasmes de la ville ». C’est une sorte d’avertissement ou de rappel des valeurs ancestrales ? Pourquoi ?
MSA : En réalité, la spiritualité urbaine a toujours revêtu une grande importance pour moi, car j’ai grandi au sein de la communauté Lébou, où les rituels tels que le Bawonan ou le Ndëup étaient fréquents.3 Cependant, il y avait aussi de nombreux autres rituels qui rythmaient les saisons et venaient en aide à la communauté pour faire face à divers phénomènes. Par exemple, des rituels étaient organisés lorsque la mer ne fournissait plus suffisamment de poissons, ou en cas d’épidémies. Je me souviens de mon enfance, marquée par des épidémies comme la « Variole du singe » ou Monkeypox, qui provoquait des éruptions cutanées, des pustules, des démangeaisons et des lésions cutanées. À ces moments-là, la communauté organisait des rituels.
Pour moi, des esprits tels que le Dëuk Daour (génie protecteur de Dakar) étaient très importantes, tout comme les autres esprits tels que Maam Kumba Lamb à Rufisque, Maam Kumba Kastel à Gorée, Maam Kumba Bang à Ndar/Saint Louis et Maam Kumba Cupaam à Popenguin, et tant d’autres esprits urbains du Sénégal. Ce monde spirituel a toujours représenté pour moi un refuge créatif. Ma génération a été initiée dans l’univers du Taxuran ou du Kassak.4 Ainsi, pour moi, tous ces esprits et ces pratiques manquent un peu à notre société actuelle, car ils favorisaient un équilibre presque tendre et une candeur propice à la paix sociale.
Tu sais, à l’époque, certains interdits existaient grâce aux esprits, mais il faut comprendre la signification et la relation profonde. Par exemple, lorsque nous étions interdits de sortir à une certaine heure de la nuit de peur de rencontrer le Dëuk Daour, cela signifiait en réalité que notre corps et notre esprit avaient besoin de se reposer pour mieux fonctionner le lendemain. De même, lorsque l’on nous disait de ne pas prendre la mer en cas de tempête en raison de la colère du génie de la mer, c’était pour éviter que les gens ne se noient. Les croyances en ces génies permettaient de décourager les comportements risqués ou malsains.
SB : Comme le viol perpétré par Atoumane sur Awa.
MSA : Effectivement. Toutefois, ces traditions commencent à s’estomper, et nous perdons ainsi des éléments essentiels de l’équilibre de notre société. La générosité, pour moi, consistait évidemment à creuser et à restituer cette mémoire collective. On parle souvent des griots dans mes films, mais pour moi, comme tu l’as si bien dit, ce sont aussi des esprits de nos ancêtres. Ce sont eux qui ponctuent mon récit tout en racontant d’autres récits que le spectateur peut interpréter à sa manière. Ce sont des esprits qui complètent parfois le récit principal, offrant parfois des réflexions sur la vie, le temps et le sens de notre existence. Tout cela me réconforte dans l’idée que notre imaginaire n’a pas encore été pleinement exploré. Nous possédons un imaginaire extraordinaire, malheureusement sous-exploité de nos jours. Cela est particulièrement vrai lorsque l’on considère la société sénégalaise actuelle, en particulier la société urbaine que je connais mieux.
3. Conclusion
Nous avons voulu pénétrer dans l’imaginaire d’un artiste aux multiples facettes qui a su se servir du cinéma pour contribuer à l’ouverture de sa société au monde, tout en restant fidèle à lui-même. En se comparant lui-même à un oiseau, Moussa Sène Absa illustre déjà sa vision holistique de la créativité, transcendant les frontières du cinéma pour embrasser la peinture, la musique, le théâtre et d’autres formes artistiques. Ses réflexions sur son parcours dans le monde du cinéma mettent en lumière son cheminement unique et non conventionnel vers la réalisation. Commençant comme figurant dans des productions françaises et collaborant avec des cinéastes renommés a joué un rôle pivot dans la formation de ses aspirations cinématographiques.
Cependant, l’enracinement profond dans son territoire et la maîtrise du paysage cosmogonique Lébou ont forgé une connexion puissante entre le cinéaste et son héritage culturel et esthétique. L’approche de Sène Absa envers la réalisation est distinctive, guidée par un appel intérieur plutôt que par des choix délibérés. Il parle du cinéma comme d’une force qui agit à travers lui, soulignant l’absence de contrôle complet sur le processus créatif. Le cinéaste de dire: « Je ne fais pas de cinéma, le cinéma se fait en moi ». Moussa Sène Absa puise son inspiration dans des sources diverses, notamment le cinéma de Satyajit Ray, un maître du cinéma indien, et les traditions narratives de sa propre culture. Cette connexion se manifeste particulièrement à travers des choix esthétiques tels que celui des costumes. Pour le directeur senegalais, les costumes ne sont pas simplement des parures visuelles, mais plutôt l’incarnation même de l’essence du film. Comme il l’exprime avec éloquence, « pour moi, les costumes, c’est l’habit du film ». En effet, chaque tenue dans les films de Moussa est un élément narratif, un langage visuel qui communique les nuances subtiles de l’histoire et des personnages.
Cette perspective ne s’est cependant pas révélée être un frein à la capacité de l’artiste d’adapter les éléments et contextes culturels « autres ». Au contraire, elle a enrichi son approche artistique, permettant une fusion harmonieuse entre sa propre identité cinématographique et les divers horizons culturels qu’il explore. En effet, la génération de Moussa a grandi sous l’influence du cinéma mondial : « Nous regardions des films hindous, des westerns, des films de cow-boys, des films de gangsters, comme on les appelait ». Cela témoigne non seulement de sa compréhension approfondie de la diversité culturelle, mais aussi de sa capacité à créer des ponts entre les mondes, à travers le langage universel du cinéma. Ce qui lui a assuré une place dans le cinéma international, malgré les conditions contraignantes de la production cinématographique en Afrique et au Sénégal en particulier.
Les témoignages de Moussa Sène Absa révèlent également la complexité du processus de création cinématographique au Sénégal et en Afrique. Par exemple, la dépendance persistante vis-à-vis de l’extérieur, essentiellement des financements étrangers, demeure une réalité malgré les efforts des cinéastes et des autorités sénégalaises. Comme ses prédécesseurs, Moussa Sène Absa a traversé des moments difficiles, marqués par la difficulté d’accès aux fonds, mais, aussi parfois, par des comportements abusifs de certains collaborateurs français. Ces contradictions dans la politique de coopération française envers l’Afrique ont émergé, il faut le dire, avec l’émergence du cinéma africain. Cette précarité de la production a entravé de grands projets, notamment ceux de Sembène Ousmane et Djibril Diop Mambéty, entre autres.
Cependant, être confronté à cette adversité a été un tournant dans la vie de Moussa Sène Absa, qui a su surmonter les obstacles grâce au soutien crucial de sa mère. Lorsque le cinéaste déclare : « C’est ma mère qui m’a sauvé », il faut comprendre ici une revendication ou une sorte d’autoidentification au matriarcat sénégalais. Ceci est un constat chez la plupart des Sénégalais. La mère est le symbole de la vie, mais aussi de la réussite. C’est pourquoi, en effet, le rêve le plus noble de tout Sénégalais est de construire une maison pour sa mère. Ce constat est palpable dans le travail de Moussa. Cela devient poignant lorsque, dans Madame Brouette, la jeune fille tire sur Nago pour protéger sa mère, ou dans Xalé, lorsque Adama risque sa vie dans une pirogue pour se rendre en Europe avec, entre autres objectifs, celui de construire une maison pour sa mère. Moussa Sène Absa, n’a-t-il pas construit une maison pour sa mère pour marquer son succès dans le cinéma ?
L’amour maternel devient un marqueur social, ainsi que la principale source d’inspiration spirituelle liée à l’espace urbain et le cinéaste de préciser : « La spiritualité urbaine a toujours revêtu une grande importance pour moi. » Nous le voyons également dans les premières scènes de Xalé. La mort de la matriarche marque le début du bouleversement de la famille et peut-être de la perte des repères d’Atoumane expulsé par les esprits des ancêtres après son acte de viol sur sa propre nièce Awa. Moussa maîtrice les fondements de la spiritualité ancestrale et son importance : « certains interdits existaient grâce aux esprits ». Ici le cinéaste a merveilleusement utilisé la mise en scène des chants, danses et couleurs pour donner vie aux ancêtres. Le cinéma de Moussa Sène Absa permet d’extraire la dimension spirituelle de la vie quotidienne, témoignant ainsi de la diversité de l’influence esthétique du cinéaste, inspiré par le cinéma hindou plutôt que par les mouvements cinématographiques dominants. Ceci souligne l’innovation, la singularité et l’indépendance artistique de Moussa Sène Absa. Au début, sa réaction négative à des films sénégalais emblématiques souligne son évolution en tant que cinéaste et son rejet initial des conventions cinématographiques établies.
Ce refus de se soumettre aux style dominant n’a jamais abandoné l’artiste aux multiples facette. Mieux refus se transforme en un rejet par le cinéaste de la mimétisme et son insistance sur la cultivation d’une voix unique sont des thèmes récurrents. Voilà un homme d’art qui encourage les aspirants cinéastes africains et Sénégalais à résister à la copie de figures établies telles que le cinéma noir-américain, soulignant l’importance de l’authenticité. Sène Absa croit que la vraie expression artistique réside dans la captation d’expériences personnelles, la réflexion sur soi-même, sa communauté et le monde. Il accorde de la valeur à la narration profondément enracinée dans des perspectives personnelles et des contextes locaux, comme l’illustre Lettre paysanne de Safi Faye.
Moussa Sène Absa émerge comme une figure complexe et multidimensionnelle, dont le parcours artistique est marqué par la diversité, les défis, la résilience et une vision unique de la créativité. Son influence dans le cinéma sénégalais contemporain et son engagement envers l’innovation témoignent de sa contribution significative à l’évolution du paysage cinématographique, tout en reflétant une personnalité artistique hors du commun.
4. Filmographies de Moussa Sène Absa
1988 : Le Prix du mensonge
1990 : Ken Bugul
1991 : Entre nos mains ; Jaaraama ; Set Setal
1992 : Moolan
1993 : Offrande à Mame Njare
1994 : Ça twiste à Poponguine ; Yalla yaana
1995 : Tableau Ferraille
1998 : Jëf Jël ; Tableau Ferraille
2001-2003 : Góor-góorlu
1999 : Blues pour une diva
2001 : Ainsi meurent les anges
2002 : Madame Brouette
2004 : L’Extraordinaire destin de Madame Brouette (Madame Brouette)
2004 : Ngoyaan, le chant de la séduction
2007 : Téranga Blues
2010 : Yoole
2020 : Black and White (série télévisée)
2022 : Xalé
1 Pour de plus amples informations, voir Diawara, Manthia (1992). African Cinema: Politics and Culture. Bloomington, Indiana University Press.
2 À ce sujet, voir Vincensini, Anne (1993). Les structures du cinéma en Afrique noire francophone. In: NETCOM ; Networks and Communication Studies, vol. 7 n°1. pp. 210-225; doi : https://doi.org/10.3406/netco.1993.1168
3 Les rituels du Bawonan et du Ndëup sont des pratiques traditionnelles importante dans la communauté lébou au Sénégal, en particulier parmi les lébous de la région de Dakar. Elles revêtent une grande signification spirituelle et culturelle pour cette communauté. C’est une cérémonie de purification et de réconciliation avec les ancêtres, les esprits, mais aussi et surtout avec la nature. Généralement, elle est organisée pour guérir des personnes atteintes de déséquilibre mental et pour apaiser les esprits des ancêtres et garantir la prospérité et la protection de la communauté.
4 Le Kassak, également appelé Taxuran, est un terme qui désigne un rituel d’initiation traditionnel dans la culture wolof. C’est un rite de passage qui marque la transition de l’enfance à l’âge adulte. Pendant le Kassak, les jeunes initiés sont initiés aux connaissances et aux traditions culturelles wolof. Cela peut inclure l’apprentissage de la langue wolof, des valeurs culturelles, de la musique, de la danse, des compétences pratiques et d’autres éléments importants de la culture wolof.
Revista Comunicación, Vol. 21, N.º 2, año 2023, pp. 148-159
DOI: https://doi.org/10.12795/Comunicacion.2023.v21.i02.08
// ENTREVISTA
Entrevista con Souleymane Cissé: encuentro en Bamako (Mayo, 2021)
José Antonio Jiménez de las Heras
Universidad Complutense de Madrid
Almudena Muñoz Gallego
Universidad Complutense de Madrid
Souleymane Cissé sigue en activo con ochenta y tres años cumplidos. Forma parte de esa estirpe de cineastas que parecen rejuvenecer con el tiempo y cuyo compromiso con la realidad de su época permanece inalterable. Refugiado en el género documental desde hace unos años, más por razones económicas que por una convicción creativa –como nos contó en la entrevista–, Cissé se mostró en plena forma el 27 de mayo de 2021, cuando tuvimos la oportunidad y el privilegio de hablar con él en su ciudad natal, Bamako, en Malí, la que nunca ha querido abandonar, a pesar de las oportunidades, y en la que reside y ha desarrollado toda su carrera.
Nuestro desplazamiento a Mali no tenía por objeto principal entrevistar a Cissé, sino realizar el último documental sobre el proyecto de mis compañeros de la Facultad de Geología Pedro Martínez y Víctor Gómez, en torno a los pozos low cost y la geolocalización de acuíferos, que yo habría de grabar.1 Aprovechando la oportunidad y la buena disposición de ambos –y los impagables servicios de Pedro como traductor en la entrevista–, dedicamos nuestro último día de estancia en Bamako para conversar con Cissé, al que localizamos después de una larga operación de “caza y captura” –gracias a los contactos de nuestra amiga Beatriz Leal Riesco, que nos puso en contacto con él a través de Olivier Barlet– que finalizó cuando tomamos contacto con él, ya en la ciudad.
El día de la entrevista, Cissé nos citó en la sede de la Union of Creators and Entrepreneurs of the Cinema and Audiovisual Industries of Western Africa (UCECAO), donde tiene su oficina profesional. Cuando llegamos allí, el director atendía una sesión de fotos y se movía con la armonía, la elegancia y la rapidez de un hombre de cincuenta y tantos o sesenta años, cuando ese abril había cumplido los ochenta y uno. La mala iluminación del lugar nos hizo desplazarnos hasta su casa, en uno de los barrios más populosos y populares de Bamako, en el que reside. Esa casa, amplia y agradable, pero sin terminar –y sin visos de terminarse pronto– remitía al inicio de Den muso, como si fuese un remedo de ese estado sin concretar, casi fallido, que es Mali. Nuestra llegada había coincidido con el enésimo golpe de Estado dado por los militares en el país, en el cual un contingente de tropas había secuestrado al presidente maliense en el aeropuerto de Bamako, a pie de pista, obligando al resto de los aviones –incluido el nuestro– a dar vueltas sobre el aeropuerto hasta que terminó la operación. Tras ello, lo trasladaron a un cuartel, donde los rebeldes le hicieron firmar una serie de compromisos a punta de pistola. Veníamos comentando estos acontecimientos en el auto particular de Cissé –un monovolumen, cuya puerta central no cerraba, en una experiencia muy propia de África y sus transportes–, así como nuestras dudas por volver a la capital –nos enteramos del golpe días después, en la zona rural de trabajo en la que nos encontrábamos–, cuando Cissé nos dijo que la normalidad que se respiraba era debida a que apenas le llegan noticias a la gente, dado que en los medios locales no se hablaba del golpe, mientras que solo unos pocos privilegiados como él se podían informar a través de medios internacionales. A pesar de todo este panorama y de las dificultades históricas de Mali, Cissé se ratificó en que: “he tenido muchas oportunidades de trabajar en Francia, pero no sabría hacer películas fuera de mi país, de mi ambiente, de mi contexto”; un principio que le honra como
cineasta honesto y coherente, comprometido con sus gentes y sus realidades.
Figura 1. Souleymane Cissé durante la entrevista en su casa de Bamako (27 de mayo de 2021)
Y estas son las características de una obra coherente, no muy larga –apenas nueve películas en cuatro décadas–, pero que supone una de las aportaciones más importantes a los cines africanos. Cissé fue el primer cineasta de este continente en conseguir un gran premio en un festival internacional, en concreto, el Premio Especial del Jurado del Festival de Cannes en 1987, por Yeelen; el segundo premio en orden de importancia, tras la Palma de Oro, a la que optó como una de las favoritas. Sembène no conseguiría, hasta un año después, el Premio Especial del Jurado en el Festival de Venecia, por Camp de Thiaroye –cuya exhibición se prohibió después en Francia… paradojas de los países libres–; un dato que da la medida de la importancia de Cissé en la historia de los cines africanos.
P: ¿Cómo un chico maliense de diecisiete años que ama el cine se convierte en cineasta?
R: En ese momento, como niño, yo no sabía que cuando uno va al cine a los cinco años lo único que retiene son las imágenes y que, después, algo se acumula, estableciéndose así una historia de amor entre el joven y las películas que ve. Esto es así. Ir al cine se convirtió en un hábito y una pasión, porque me encantaba, y la primera vez que de pequeño vi una película me impresionó mucho, me atrajo, me impuso y, además, me generó una gran curiosidad; una curiosidad que ha crecido según me iba haciendo mayor. Se puede decir que nací cinéfilo, no me perdía ninguna película por la noche, así que era realmente un cinéfilo. Después de ello, empezaron los movimientos políticos y me uní a ellos, como el movimiento político de la juventud y, entre otras actividades, solíamos organizar proyecciones todos los días en las que veíamos películas. Una de ellas, un documental sobre la detención de Patrice Lumumba, supuso un shock para mí y provocó un cambió en mi visión del cine.
P: Usted formó parte de la escuela de Gerasimov en Moscú. ¿Cómo se desarrolló esta experiencia de formación? ¿Cómo le afectaron los cinco años que pasó allí y cómo influyeron esos años en la construcción de su discurso cinematográfico?
R: Verás, cuando fui a Moscú, había que tener la base necesaria de conocimientos para merecer entrar en esta escuela, así que pasé dos años de formación haciendo fotografía y siendo proyeccionista en cines, para aprender la técnica del cine por mí mismo, y después me fui. En el instituto se estudiaba cine, pero necesitaba aprender la lengua. Me permitieron estudiar dos idiomas y pude iniciarme con la cámara y con el montaje, y es así como empecé.
P: O Sembène! está dedicado al cineasta senegalés Ousmane Sembène, ¿considera a Sembène como una influencia esencial en su obra?
R: No, no, no, Sembène es un artista que me gustaba mucho por su convicción y su lucha, y es alguien a quien respetaba mucho, pero su cine nunca fue una influencia en el mío.
P: ¿Algún otro cineasta que le haya podido influir?
R: Veamos a otros cineastas que pueden haberme influido… [se toma una larga pausa, muy pensativo] Por ejemplo, el cineasta Eisenstein, un cineasta ruso, por el ritmo de su montaje. Se me quedó grabado. No sé si tengo alguna otra influencia, pero sé que tengo una influencia de la escuela [el Gerasimov],2 por supuesto, está claro, desde que te vas a aprender, que es inevitable traer algo de vuelta. Pero, por supuesto, lo adaptas a tu visión y a tu concepción de la vida y a tu lucha.
P: ¿Se define como un cineasta político?
R: No, no me defino de esa manera, pero sé que la gente ve todas mis películas como políticas, y no puedo decirles que no, porque es su visión, la visión del espectador que así lo siente; es algo común que me ocurre. Es una lucha que funciona así: sea cual sea el cine que hagamos, la política nos acompaña y nos gana.
P: Den muso empieza con una imagen simbólica, en blanco y negro, con la construcción de una casa, ¿qué significa para usted?
R: Aquí, por ejemplo, cuando rodábamos los recursos estábamos en Suiza en 1974. Utilizando esto, quería mostrar mi país, un poco hacia el mundo, para decir que empezaba a modernizarse. Ahora, mi visión en el año 74 analizaba de forma crítica esa parte del progreso. Es una pena, pues es en este progreso, aquí elemental, en donde encontramos un ejemplo de cómo se construye el futuro, de manera que la gente en la modernidad pueda comprender que la vida es otra cosa: que es necesario el desarrollo, el progreso, y que esa es la dirección que seguir.
P: En Den muso la incapacidad de hablar de la protagonista también parece una metáfora de la situación de dependencia y desigualdad de las mujeres malienses, como si les hubieran robado la voz, ¿es así?
Figura 2. El profesor Jiménez de las Heras y el Profesor Pedro Martínez durante la grabación de la entrevista con Souleymane Cissé en su casa de Bamako
R: Bueno sí, pero porque, y perdona mi vehemencia, no creo que las mujeres malienses hayan tenido derecho a hablar hasta hace poco. Simplemente, es la lucha que sigue desde el 74 hasta el 2020-2021: ha habido una mínima evolución, aunque no siempre. Las mujeres siempre han permanecido en la sombra.
P: ¿Cómo afrontó su estancia en prisión? ¿Cómo se sintió?3
R: Se generó demasiado escándalo en torno a la película, incluso diría que un falso escándalo. Se crearon diversas polémicas artificiales en torno a esta película, pero tengo la impresión de que la gente quería aplastarme, así que la solución fue hacerlo a través de la película Den muso. Y he de decir que me resultó muy doloroso, es cierto, pero fue un dolor que me empujó tranquilamente a convertirme en lo que soy hoy. Podríamos decir que fue algo que tuvo un efecto positivo, pues, si no me hubieran herido, creo que nunca hubiera hecho el esfuerzo de llegar a donde estoy hoy. Un esfuerzo sobrenatural respecto a mí mismo para llegar a lo que soy hoy.
P: En Den muso se muestra, a través de un angustioso primer plano, la larga agonía de la protagonista, que se suicida después de matar a su amante, quien la ha traicionado, en lo que parece buscar una identificación directa del público con la rebelión y el sufrimiento de la protagonista. ¿Era consciente de ello?
R: Resulta difícil para mí responder a estos comentarios que denomino como cinéfilos. Un día alguien me dijo lo siguiente: “Escuche, señor, usted está haciendo su trabajo, pero ya no le pertenece una vez que está hecho, ¿no lo cree así?”. Y es que cada uno es libre de hacer su comentario al respecto de la obra, cada uno puede decir absolutamente lo que piensa. Es cierto que esta chica… [pausa larga] Ella realmente existía sin necesidad de hacerse entender, su sola presencia en la pantalla era algo fuerte y eso era la clave de esta película. El hecho de que esta mujer sea muda y que se convierta en la protagonista, supone en sí mismo un mensaje que debíamos transmitir, y nosotros solo éramos los intermediarios.
P: Tanto en Den Muso como en Baara, la narración comienza como un melodrama y termina en tragedia, ¿busca con ello una forma más efectiva de que el público conecte con el discurso ideológico de la película?
R: Como decía antes, cada uno es libre de analizar la película según su criterio, pero creo que para que el público entre en la historia hay que crear, a veces, determinadas contradicciones, golpear al público- Si ese proceso no está bien llevado resulta difícil captar la atención. Se suele decir que cuando se empieza una película hay que hacer algo impactante para que el espectador pueda engancharse a la historia.4 En realidad, la película empieza como un melodrama, pero el final termina en un drama para mantener la unidad, es entonces cuando empiezas a ser consciente de todo lo que has visto, ¿entiendes? Es en este momento cuando empezamos a darnos cuenta, a comprender. Por ejemplo, en Finye, lo evité, traté de mostrar el hambre de nuestra juventud y sus luchas; una lucha (política) que es la razón por la que esta película termina de manera diferente. Esta estructura es la que le gusta al espectador, creo, porque una película en exceso dramática perturba a la gente. Pero no podíamos hacer otra cosa [vuelve a hablar de Den muso], y tuvimos que desvivirnos por crear un escándalo nacional, un drama nacional, para resaltar una noticia; un tema al que nadie daba importancia, pero que, con la aparición de esta película, llevaba a todos a hacerse la pregunta: ¿qué está pasando en el seno de las familias malienses? Entre cien familias de Bamako, no pude encontrar tan solo quince en las que no estuvieran presentes los mismos problemas que se reflejan en la película. Por lo tanto, era necesario pasar por todo ese calvario (la prisión incluida) para captar la atención de las personas sobre ello.
P: Parece que le gusta a usted contar, siempre que puede, con los mismos actores película tras película, como en el caso de Balla Mousa Keïta. ¿Cuáles son las ventajas de esto?
R: Se da la circunstancia de que no siempre funciona trabajar con los mismos actores, hay veces que las historias que se narran y lo que siente el actor no coinciden, pero a veces estás obligado a trabajar con ellos por solidaridad. Además, yo estaba muy apegado a mis actores. Los que participaron en la película Den muso son los que me apoyaron cuando estaba en una crisis total, y son los que vinieron a mí para decirme que era necesario hacer otra película (Baara). Porque la humillación que me/nos habían causado era demasiado grande y debíamos responder a ella. Y así rehicimos la película y, a medida que avanzábamos, iba creando fragmentos, “partituras” para cada uno de ellos.
Figura 3. Los primos protagonistas de Baara atraviesan juntos, desafiando el orden establecido y las diferencias de clase, ese fuego simbólico de la sociedad y el capital, en un gesto, sin duda, revolucionario
P: Den muso y Baara mantienen un realismo absoluto tanto a nivel de temática como estéticamente, pero ambas comienzan con una alegoría, que en el caso de Baara se repite al final. ¿Por qué esa elección?
R: Los símbolos que formulo y la comprensión de la gente que los ve son muy distintos a la perspectiva que tengo yo. Por lo tanto, dejo que el espectador sea el que descubra qué es lo que quiero transmitirle con ello y cómo se siente, pero yo no lo puedo saber. El símbolo es un elemento muy fuerte para mí, porque, por ejemplo, los dos jóvenes que caminan a través del fuego al inicio y el final de Baara son una imagen muy poderosa que llega al espectador, pero no puedo hacer ningún otro comentario sobre ello.
P: La cuestión es: ¿qué simbolizan para usted?
R: Lo simbolizan todo, porque es el tema de la película en Baara: son estos dos hombres, dos personas completamente diferentes, de diferente clase social, que se ponen de acuerdo para ayudarse mutuamente, a pesar de las dificultades de la vida, y están juntos y caminan juntos.5
Figura 4. El profesor Jiménez de las Heras con el director Souleymane Cissé al finalizar la entrevista
P: ¿Su siguiente película, Finye, supone un punto de inflexión entre Den muso y Baara con respecto a lo que será Yeelen?
R: Sí, hay un cambio en la constancia de mi visión, en mi comprensión de la vida. Lo que me mueve hacia la meta es que cada vez que hago un discurso que me lleva lejos de mi punto de partida, supone un crecimiento de mi interés. Pero no creo que mi visión y mi concepción de la vida hayan cambiado, tal vez he transformado el discurso y las formas para que lo entendamos mejor.
P: El tema de la droga en Finye me parece lo único que no acaba de encajar con el resto del discurso. Parece servir en exclusiva para justificar la excelente secuencia onírica, pero no acaba de encajar con el planteamiento político y social del resto de la película. ¿Qué opina al respecto?
R: No, no pensé en nada de eso, pero igualmente quedó reflejado. Esta es la vida cotidiana de los malienses, hoy y aquí. Los jóvenes están drogados, creen en lo imposible, pero la realidad es otra, lo que vivimos hoy no ha cambiado. Finye es de los años ochenta, estamos en el 2021 y tenemos el mismo problema con las drogas, solo que ahora se ha agravado porque hay vendedores de droga en todas partes, y en breve estarán detrás de nuestras casas. Verás con normalidad grupos de jóvenes que vienen a vender, comprar drogas y todo lo demás. Es una forma de vida en la que no entro, porque no encajo en este mundo: solo expreso lo que veo, pero eso no cambia nada aquí en nuestra vida cotidiana. Pretendo mostrar una realidad maliense y que el público reflexione sobre ella con libertad.
P: En Finye, el personaje del abuelo es muy interesante porque representa la transición entre dos sociedades: la mágica y tradicional y la moderna. En ese sentido, la secuencia en que el abuelo quema sus ropajes tradicionales de brujo y renuncia a la magia (al mundo mágico bámbara) resulta un elemento muy interesante. ¿Cuál era su deseo al mostrar el comportamiento de este personaje?
R: Cada generación tiene su periodo de vida. Las cosas cambian y se transforman porque incluso el conocimiento cambia y ese anciano, a través de su personaje, te está diciendo que el conocimiento debe cambiar. Además, crea esta ciencia, la magia, y lo hace de manera diferente, pero no comprende qué más puede hacer desde su posición, y reconoce que está anticuado, desactualizado, y es por eso por lo que al final de la película es él quien empuja a los jóvenes universitarios a ir hacia el cambio. Él dice: “vamos, yo os apoyo”, y este apoyo es muy simbólico, porque a pesar de que se deshace de las vestimentas mágicas, persiste la conciencia, el conocimiento que ha recogido durante su vida y quiere aprovecharlo, pero de otra manera. Para mí ese es el cambio. Esa transformación se puede llamar modernidad, pero es una evolución porque cada época, cada sociedad, tiene distintas etapas en su existencia. La magia ha tenido una función en su existencia, pero en un momento dado hay que pasar de esa creencia a otras cosas; esto es lo que quise decir, que esos jóvenes pudieran comprender su misión a través del anciano.
P: ¿Es la lucha intergeneracional un tema recurrente en su filmografía?
R: Es la vida misma, mientras exista esta ligazón de dos generaciones en la vida no hay nada que podamos hacer al respecto. Si mi película refleja esto, o parece reflejado en cada película que hago, resulta bastante normal porque es parte de la vida de todos. ¿Qué más os puedo decir?
P: ¿La lucha generacional constituye una metáfora política?
R: La política está en todo, todo es político, lo queramos o no. Pero, respecto a mis películas, no puedo ir más allá de lo que te he mostrado.
P: Con Yeelen se produjo un gran cambio, no solo narrativo, sino de producción. Tenemos entendido que el rodaje (que se extendió a lo largo de tres años con innumerables parones) llegó a ser casi imposible por las dificultades naturales del terreno e, incluso, con la muerte del actor principal, Ismaila Sarr. ¿Puede hablarnos sobre este difícil proceso de producción y sobre su experiencia en el rodaje de Yeelen?
R: Sí, bueno, la suerte de Yeelen y sus mayores medios de producción se debieron a que había adquirido una especie de fama internacional, por lo que tenía más facilidad de apoyo financiero que en las anteriores películas, pero eso supuso también muchos más problemas durante el rodaje de los que había tenido en todas mis anteriores películas. Así que el destino de esta película no estaba ligado, en principio, a las enormes dificultades que tuvimos, algo que no habíamos previsto y que nos asaltó en medio del rodaje, lo que nos llevó a sostener una lucha a lo largo de tres años para poder llevar a cabo la película Yeelen. Cada vez que el rodaje se detuvo, hubimos de comenzar con un nuevo presupuesto más elevado, pero confieso que agradezco todos los apoyos que nos dieron, porque la gente se volcó para apoyarnos, creyó en esta historia. Cada película tiene su dificultad, está bien, pero en esta fue demasiado.
P: En Yeelen hay un cambio en el uso de la cámara, en la puesta en escena, ¿por qué y cómo afrontó este cambio?
R: Sí, porque quería cambiar de forma radical todo lo que hacía. Fue un amigo el que me dijo que, si no podía o no sabía hacer nada más, “¿es qué no tienes nada nuevo que mostrarnos?”. Y eso me chocó, me molestó y quién sabe hasta qué punto, este trastorno, me empujó a cambiar la dirección, la visión, el diseño, la concepción: todo cambió en Yeelen.
Figura 5. Nianankoro (Issiaka Kane) con el Ala de Koré, con la que se enfrentará a Soma (Niamanto Sanogo), su padre y poderoso hechicero, representante de la tradición oligárquica, que desea matar a su hijo para perpetuar su poder. Nianankoro se lo impedirá, sacrificando la vida de ambos para traer a la tierra, de nuevo, la Luz (Yeelen). Una metáfora revolucionaria bajo los ropajes de una deslumbrante película que adapta las leyendas bámbara.
P: ¿Qué supuso el premio especial del jurado en Cannes, el primero en un gran festival para una película y un director africanos? ¿Qué significó a nivel personal y profesional?
R: En su momento dije que dedicaba este premio a todos los que no tienen derecho a hablar, puesto que es necesario dar la palabra a los que no tienen ese derecho o se les impide el deseo de expresarse, de decir las cosas; en este sentido fue el sentimiento más hermoso. Confieso que el Estado maliense no me dijo absolutamente nada. Después volví a Mali y me encontré con las celebraciones por el premio, así que me dije que tal vez había habido un cambio, había ganado un premio que realmente era importante.
P: Resulta llamativo comprobar que entre Finye y Yeelen pasaron cinco años, contando los tres de rodaje, y que, en cambio, entre Yeelen y Waati, tras el premio de Cannes, transcurrieron ocho años y doce entre Waati y la siguiente de sus películas. ¿A qué se debió esto? ¿Qué pasó?
R: Entre Yeelen y Waati fue muy difícil de poner en marcha una nueva película: fue realmente difícil dar a luz este proyecto. Me tomó más de dos años escribir un nuevo guion, y tres años después de la escritura aún no habíamos encontrado una solución para la financiación. Entre Yeelen y Waati yo estaba desmotivado por lo que vi en la gente, era como una especie de traición con esta película [se refiere a Waati] que me hizo mucho daño y me desanimó. Fue difícil hacer que la gente entendiera que esta película era la primera en estar en contra del apartheid y que por eso debíamos darle la oportunidad que se merecía. Esa es la razón por la que dejé pasar un poco de tiempo antes de hacer otra película; ni siquiera quería hacer películas, quería hacer cualquier otra cosa, me dije a mi mismo: “haré series para la televisión”. Luego se presentó la oportunidad de hacer el documental sobre Sembène, que terminé en seis semanas, para rendir homenaje a su figura, y que todo el mundo puede visionar porque lo subí a YouTube, para que la gente tuviera la oportunidad de verlo. Fue seleccionado en Cannes, pero para mí era un tema muy, muy, muy personal.
P: ¿De qué película de su filmografía está más satisfecho y por qué?
R: Hacer una película es un alivio, pero una película nunca resulta perfecta para nosotros mismos. Aunque es cierto que me puede gustar una película más que otra…
P: Sus dos últimas películas son documentales, ¿encuentra que estos formatos son más adecuados para lo que quiere contar o simplemente resulta más fácil lanzar un proyecto documental que uno de ficción?
Figura 6. El poder de la imagen. Cissé viendo una de las fotografías tomadas durante la entrevista, junto a nuestros compañeros de viaje, Pedro y Víctor. Una hermosa e intensa experiencia en Mali que comenzó en 2014 y terminó en 2021, de la mejor forma posible, con la realización de esta entrevista.
R: Yo prefiero la ficción, pero debo admitir que resulta muy complicado aquí, y sobre todo para mí, poner en marcha proyectos de ficción, pero para no estar sin hacer nada por el camino recurro al formato documental.
P: ¿Cómo ve el presente y el futuro de los cines africanos?
R: Tengo buenas esperanzas porque creo que el cine se está desarrollando en otros lugares con la creación de nuevos canales globales, así como canales regionales en Senegal, en Costa de Marfil e incluso en el Congo y Kenia, algo que plantea buenas perspectivas de avance en este ámbito. Puede que algunos hayamos sido pioneros al principio, pero para mí la satisfacción está en que el cine se haga y se siga haciendo en el continente.
P: ¿Se considera un cineasta realista o quizás esa etiqueta le resulta un poco restrictiva?
R: Director y realista, una dualidad. No sé, es una opinión, si me clasifican como un cineasta realista, pues bien, creo que me hace pensar en el cine italiano de los años cincuenta o sesenta. Tal vez un día alguien me ayude a clasificarme. No sé, no sé, no me gusta clasificar mis películas. El alma no se clasifica.
P: Ya casi hemos terminado. Tras los acontecimientos de esta semana, [el golpe militar al que hicimos referencia en la introducción], ¿cómo ve el futuro de Malí?
R: Ya he hablado de estos temas en mis películas y no me sorprenden los acontecimientos recientes. Con todo este lío se pasará mal, pero pasará con en el tiempo. Mali necesita al hombre o a la mujer que pueda sacarlo adelante, pero este hombre y esta mujer aún no existen. Lo dije hace poco durante el consejo nacional de transición: un país que se olvida de sí mismo no existe, es decir, será arrastrado por el oleaje, por la corriente, pero a un país que vive acorde a su cultura ninguna corriente puede hacerle moverse. Ese país debe implementar un gran proyecto, y este es el caso de Malí.
P: Parte de su filmografía termina con la muerte, o con algún otro elemento trágico: la separación, la exclusión… ¿Es este el elemento aglutinador de una mirada pesimista en todas tus películas?
R: Bueno, eso es como si cogieras todas las películas de Martin Scorsese desde el principio hasta el final: la violencia y la muerte representan algunas de las claves de conducta esenciales de los personajes que se muestran en las películas desde su creación y eso creo que es bastante normal. Si no existiera esta línea de conducta, nuestras películas serían otra cosa, otro resultado.
P: ¿En qué proyectos está trabajando actualmente?
R: En estos momentos estoy trabajando en un documental sobre la alerta de COVID-19 en Bozola, que es un barrio obrero que habéis conocido, y en otro documental que tengo que finalizar el día 30 [se refiere a mayo de 2021].
P: ¿Algo más que quisiera añadir?
R: No señor, desearles un buen viaje de regreso. Espero que vuelvan con nosotros cuando Mali esté mucho más tranquilo.
P: Muchas gracias por su atención y amabilidad.
R: No, por favor, soy yo quien agradezco vuestra atención.
1 Por si el lector sintiera curiosidad por verlo, lo tiene disponible en este enlace: El algoritmo del agua (2022). https://youtu.be/u7wt2_3Q7M4?si=mH3qG41OoKfIBUO4
2 Cissé, como Sembène y algunos otros cineastas africanos –el propio Sissako– estudiaron en la época en la que aún estaba vigente la URSS y el estado soviético, lo que supone una innegable influencia en sus cines respectivos.
33 La realización de Den muso supuso para Cissé una condena de cárcel, acusado de varios delitos, incluido el de haber aceptado financiación extranjera (francesa) para realizar la película. La condena ocultaba una motivación política, que reflejaba la incomodidad del régimen maliense ante lo que se contaba y mostraba en el filme. El propio Cissé lo cuenta así: “Den muso, que me valió un arresto y diez días de prisión. El presidente Moussa Traoré, a quien le expliqué el problema, me sacó. Pero la película estuvo censurada durante tres años.” Entrevista con Olivier Barlet (2021). Afiribuku: https://www.afribuku.com/master-class-souleymane-cisse-mali/
4 Es, cuando menos, curiosa la referencia de Cissé a un cineasta como Cecil B. De Mille, cuya máxima era: “Las películas deben empezar con un terremoto y de ahí ir hacia arriba”, máxima adoptada por Spielberg, que considera a De Mille uno de sus maestros.
5 Baara termina en una revuelta contra el patrón de la fábrica donde trabajan ambos protagonistas, primos por parentesco, y ambos son los que aparecen, como protagonistas, juntos en la imagen del fuego, atravesándolo al final, en la segunda parte de la imagen que cierra la película. El patrón ordena matar a uno de ellos, a Balla Trouré, gerente de la fábrica, que ha acogido como trabajador a su primo, que antes se ganaba el pan como carretero en Bamako. La diferencia de clase social de ambos y la relación de amistad y solidaridad que establecen a lo largo de la película es esencial, al trascender la diferencia de clase y provocando que, al final, sea el primo proletario el que vengue la muerte de su familiar, a manos del patrón, poniendo la fábrica bajo el control de los obreros –en un remedo de movimiento revolucionario–, que son los que detienen al patrón, lo que nos conduce a una alegoría bastante evidente de la revolución y la lucha de clases que Cissé parece querer difuminar, o, al menos, evita aceptarla de forma explícita. Quizá su difícil posición en Mali, ante el golpe militar, justificase estas cautelas, que se derrumban ante el sencillo análisis de las imágenes.
Revista Comunicación, Vol. 21, N.º 2, año 2023, pp. 160-166
DOI: https://doi.org/10.12795/Comunicacion.2023.v21.i02.08
// ENTREVISTA
Entrevista a Ellie Foumbi, escritora, actriz y directora de Nuestro padre, el diablo
“Es importante afrontar los traumas, levantar los tabúes y debatirlos en sociedad”.
Laura Feal
Periodista freelance establecida en Senegal y candidata a doctorado en Historia del Cine por la Universidad Gaston Berger de Saint Louis (Senegal)
Ellie Foumbi durante su visita a Vitoria Gasteiz el pasado mes de octubre, en el marco del Festival de cine Afrikaldia. Fuente: Afrikaldia
Nacida en Yaundé (Camerún), pero residente en Estados Unidos desde los cinco años, Ellie Foumbie es una de esas creadoras que hay que seguir de cerca. Actriz, escritora y directora de cine, su trabajo se ha proyectado en los más prestigiosos festivales internacionales, como Venecia, Tribeca, Palm Springs, Hamptons y Mill Valley, entre otros. En 2022 se la destacó como una de las veinticinco caras nuevas del cine independiente por la revista Filmmaker Magazine.
Tras tantear la posibilidad de hacer una carrera jurídica, se decantó por el estudio del séptimo arte y su recorrido fue tomando forma hasta llegar a formar parte de la Berlinale Talents y la New York Film Festival’s Artist Academy.
El éxito de sus primeros trabajos como directora, con los cortometrajes Last day in paradise (Francia, 2016), Zenith (EE. UU., 2017) y No traveller returns (EE. UU., 2019) le abrió las puertas al reconocimiento internacional, que acabó de cristalizar con Home, un encargo de Netflix en asociación con Film Independent, y que cuenta con más de dos millones de visitas en el canal de la plataforma en YouTube.
Su estilo cinematográfico es poético, tranquilo, muy clásico. Le gusta no mover la cámara si no es necesario. Sus guiones tienen en común la creación de personajes complejos, con muchas aristas, una casi obsesión por desbrozar el concepto de identidad y la elaboración de un contexto, de un marco, que adquiere entidad propia a medida que pasan los minutos en la pantalla.
Su esperada primera película, Our father, the devil, se estrenó en el Festival de Cine de Venecia en 2021. Su debut tiene entusiasmado a público y crítica (por el momento ha ganado veintisiete premios en festivales de cine internacionales y fue nominada en la categoría de mejor película en los Independent Spirit Awards). Se señala de ella la complejidad narrativa y la simplicidad en la ejecución, la visceralidad de la historia y su precisión emocional.
La protagonista de Nuestro padre, el diablo (en castellano) es Marie Cissé (Babetida Sadjo), una mujer negra que trabaja como jefa de cocina en una residencia de ancianos de una pequeña ciudad de Francia. Aunque parece relativamente bien adaptada, Marie esconde un secreto vergonzoso: fue niña soldado.
Su vida se desarrolla sin complicaciones cuidando de los residentes, saliendo con su compañera de trabajo y mejor amiga Nadia (Jennifer Tchiakpe) y acariciando un nuevo romance. Esta tranquilidad se ve alterada por la llegada del padre Patrick (Souleymane Sy Savané), un sacerdote al que reconoce de un aterrador episodio en su tierra natal. A medida que se va haciendo querer por los residentes y el personal, Marie se ve obligada a decidir cuál es la mejor manera de lidiar con este recuerdo de su turbulento pasado.
Se trata de un thriller de venganza, en el que, más allá de la tensión del género, se explora la posibilidad de cuestiones tan universales como el arrepentimiento y el perdón, obligando al espectador a preguntarse quién es culpable y quién merece una segunda oportunidad.
Con unos magistrales Babetida Sadjo (Guinea Bissau, Bélgica) y Souleymane Sy Savané (Costa de Marfil) encarnando los roles protagonistas, el filme aborda la luz que da significado a las sombras y ofrece la suficiente complejidad para que la historia traspase la pantalla y potencie el debate, algo que la directora confiesa buscar con su cine.
En el mes de octubre tuvimos la suerte de acceder a la película, subtitulada en castellano, en el marco del festival vasco de cines africanos, Afrikaldia, de la mano de la comisaria del festival, Beatriz Leal Riesco. La autora, que acompañó el filme en su estreno en España (país que visitaba por primera vez) se sintió “impresionada por el trabajo del festival con la comunidad migrante africana y su lucha explícita contra el racismo y la xenofobia”.
Tras recoger el primer premio del certamen, la entrevistamos a distancia (desde Irlanda) y repasamos con ella los hitos de su carrera y motivaciones, así como algunas de las cuestiones que rodean esta película, esperando que pronto podamos disfrutarla en salas en nuestro país.
P: Usted empezó en la industria del cine como actriz, ¿qué le llevó a pasar de la interpretación a la dirección de películas?
R: Empecé con la actuación por casualidad. No conocía a nadie en el sector y mis padres tenían dudas sobre las posibilidades laborales. Mi hermana me animó a presentarme a una audición, en la que me cogieron, y así fui entrando en el mundillo. Cuando me daban un guion, enseguida identificaba cosas que quería cambiar en él… ¡pero eso no me correspondía como actriz!
Los compañeros me decían que tenía ideas cinematográficas potentes así que me lancé. Desde pequeña me gustaba escribir, es mi medio natural. Retomé la escritura después de diez años y me sentí muy a gusto, por lo que decidí cursar estudios de cine.
La directora recogió el Premio de la 3.ª edición del certamen vasco de cines africanos Afrikaldia. Fuente: Afrikaldia
P: En sus películas se aborda de manera transversal la cuestión de la identidad. ¿Por qué es este un tema importante para usted y cómo lo trata?
R: Tuve muchos problemas para navegar mi identidad. El hecho de llegar a Estados Unidos como camerunesa e ir a una escuela francesa allí, hizo que siempre me sintiese diferente, sin saber a qué grupo pertenecía. Como directora me interesa el tema porque la identidad se forma por una compilación de criterios, de manera muy compleja, sin embargo, la gente te etiqueta rápidamente por tu color de piel, por la lengua que hablas, por tu religión… Me interesa explorar cómo la sociedad juzga la identidad de los demás.
P: En varias ocasiones usted ha cuestionado la imagen de África y de los personajes africanos en el cine occidental. ¿Puede contarnos más al respecto? ¿Encuentra diferencias en el tratamiento de estos personajes entre Estados Unidos y Europa?
R: Considero que la visión de las personas negras es reducida en ambos territorios, pero de una manera diferente. En EE. UU. no hay costumbre de “ver” otras culturas, algo que es bastante paradójico porque está conformado por muchísima diversidad. Allí, si eres una mujer negra, quiere decir exclusivamente que eres afroamericana, que has crecido de una cierta manera, que has tenido una vida muy difícil…
En Europa, al menos en Francia, ser negro te reenvía directamente a África, a un medio pobre, a venir a Europa a “robar” el trabajo de alguien.
En ambos lugares te encasillan y parece que no hay lugar para otras realidades, hay un imaginario reducido en ese sentido.
P: ¿Como directora intenta completar esa visión limitada?
R: Efectivamente. La mayoría de los personajes que escribo se alejan de esos estereotipos que encasillan a las personas negras, principalmente porque yo no me siento reflejada en esas experiencias. Mi padre trabaja en el sistema de Naciones Unidas y yo he tenido siempre muy buena educación, he viajado mucho, etc. Puedo comprender los personajes que me proponen y también interpretarlos, pero creo que hay más que aportar. Mi entorno no es así, tengo que recrear ese mundo y compartirlo para que se visibilice.
P: En su película Nuestro padre, el diablo toca la cuestión del trauma generado por los grandes conflictos en África. ¿De dónde nació esta película? ¿Cómo preparó estos personajes?
R: La historia me empieza a rondar la cabeza cuando hablé por primera vez con personas adultas que habían vivido el genocidio en Ruanda cuando eran pequeños, que se quedaron huérfanas y que habían presenciado el asesinato de sus padres. Me interesó la historia de su crecimiento llevando encima esa historia tan pesada con ellos.
Los niños siempre son inocentes para mí. Creo que pueden reconstituirse después de haber cometido crímenes y eso me interesaba.
Valoré hacer una película sobre ello, porque el tema de los niños soldado se había tratado cinematográficamente desde su participación en la guerra, pero nunca había visto ningún film sobre qué pasa después, cómo lo afrontan como adultos, cómo desarrollan herramientas para tener vidas normales. Me interesaba más el después: el niño soldado adulto.
P: Ambienta la acción principal de la película en Europa, un espacio alejado de donde ocurrieron los hechos y donde los protagonistas intentaron retomar sus vidas. ¿Cree que es necesario separarse físicamente de donde hemos vivido experiencias tan fuertes?
Fotograma de la película
R: La protagonista, Marie, es una mujer que huye de su pasado y de todo lo que le recuerda a él. Cuando imaginé esa historia en África no me salía, era imposible. El hecho de que se encuentren en una ciudad pequeña le da una dimensión mágica, es una coincidencia sagrada. También ayudó situarla en un contexto tan diferente, entre personas blancas, con un paisaje distinto… Este espacio “neutro” les obliga a confrontar sus pasados y mantener esas conversaciones tan duras y difíciles en las que colocar lo que han vivido.
P: La cuestión del perdón, de la salvación, mantiene la tensión del thriller. ¿Somos capaces de salvarnos?
R: La capacidad humana es tan grande que considero que siempre es posible recomenzar, aunque no olvidar. No se pueden olvidar experiencias tan duras, pero pienso que si te focalizas en el futuro, en la gente que está alrededor, puedes dejarte ir y avanzar.
Cuando hice mi investigación sobre los niños soldado adultos, vi que había muchos suicidios, porque habían cometido crímenes tan horribles que no podían afrontar sus monstruos para sobrevivir.
La solución fue para mí el amor. Siempre hay personas que quieren darte una nueva oportunidad y tener una segunda vida. Pero esa sensación da miedo.
Fotograma de la película
P: Su cine responde a una intención artística, pero toca un tema social de importancia mayor. ¿Es su intención de hacer cine social?
R: Por influencia del trabajo de mi padre en Naciones Unidas siempre tuve historias muy duras cerca. Me siento afortunada y privilegiada por ello y siento que puedo hacer algo en este sentido.
Efectivamente, con esta película, era importante para mí abrir un debate con la diáspora y también con la población africana, porque hay muchos temas tabúes, que no se verbalizan o que se hablan en secreto, pero no abiertamente, y para mí es importante que lo hagamos como sociedad.
Los impactos de las guerras en las personas –generalizando, porque en cada país y cultura se han tratado de manera diferente–, las violencias sexuales, el rol de la religión –impuesta por los colonizadores–, etc., son cuestiones que no se hablan y creo que debemos encontrar maneras para afrontarlo como africanos.
Fotograma de la película
P: En todo caso, felicidades por el comienzo extraordinario de este, su primer largometraje, y mucho éxito para sus siguientes trabajos. ¿Está ya con nuevos proyectos?
R: Muchas gracias. Sí, estoy trabajando en una nueva película que saldrá el próximo año y que cuestiona el american dream desde la perspectiva de una mujer negra: lo que quiere decir, lo que supone para una mujer, para una inmigrante… Aunque es muy diferente a Nuestro padre, el diablo creo y espero que también abra nuevos debates.
Revista Comunicación, Vol. 21, N.º 2, año 2023, pp. 167-175
DOI: https://doi.org/10.12795/Comunicacion.2023.v21.i02.08
// ENTREVISTA
“Minha fala”: um testemunho de Flora Gomes
Atualizado e revisado por
Flora Gomes
O texto foi editado por Jusciele Oliveira, a partir de entrevistas e conversas realizadas com o cineasta.
Flora (Florentino) Gomes nasceu entre os dias 31 de dezembro de 1949 e 1 de janeiro de 1950, em Cadique, na antiga Guiné Portuguesa. Formou-se em Cuba, no Instituto Cubano del Arte e Indústria Cinematográficos – ICAIC (1967-1972), sob os ensinamentos de Santiago Álvarez; e em Dakar, na Televisão Senegalesa (1973-1974), sob orientação de Paulin Vieyra. Em 1973, juntamente com vários diretores africanos e da América Latina, Gomes participa da reunião Third World Filmmakers in Algiers. Iniciou sua carreira cinematográfica ao lado de Sana Na N’Hada correalizando com este dois curtas-metragens: O Regresso de Cabral (1976) e Anus ke no osa luta (1976); dirigiu ainda o média-metragem A reconstrução (1977), com o italiano Sérgio Pina; em 1994, realizou o curta-metragem A Máscara. Seus longas-metragens de ficção são: Mortu nega (1988), Udju azul di Yonta (1992), Po di sangui (1996), Nha fala (2002) e Republica di mininus (2011); e do documentário As duas faces da guerra (2006), que assina em coautoria com Diana Andringa. Em 2009, participou de uma construção coletiva, Afrique vue par…, com o curta-metragem intitulado A pegada de todos os tempos. É também realizador do curta Bindidur di passada (O vendedor de histórias, 2017) e do filme institucional Uma nova cara para Guiné-Bissau (2014). Atualmente, vive em Bissau e viaja pelo mundo em busca financiamento para terminar um documentário sobre a memória de Amílcar Cabral e escrever uma ficção policial.
Figura 1
Com a sua obra cinematográfica, Flora Gomes tornou-se um realizador de referência na cinematografia africana e mundial, conquistando a estima e o reconhecimento internacionais. Gomes é um realizador que se desloca de Bissau, sua cidade de residência, para diversos continentes e países, seja para participar de eventos ou para conseguir financiamentos, ou ainda deslocando-se para gravar suas películas, como um griot viajante contemporâneo que leva a sabedoria e a cultura de seu país e continente pelo mundo. Neste sentido, percebe-se o trânsito deste cineasta no mundo contemporâneo, metaforicamente representado pelos movimentos constantes da câmera ou de personagens nos seus filmes, que percorrem as várias cenas e cenários e conduzem o espectador para onde o diretor deseja.
O estilo de Flora Gomes se expressa situação local e global, por meio de diálogos irônicos e reflexivos, apresentando na tela o discurso da memória e da história da Guiné-Bissau e da África contra o esquecimento do passado (Mortu nega) e do presente (Udju azul di Yonta e Po di sangui), em busca de um mundo múltiplo, colorido como o arco-íris, regado a utopia e ousadia (Nha fala e Republica di mininus), para ir além do que as mentes e os corpos ainda colonizados pressupõem. O autor Flora Gomes segue narrando histórias que referenciam sua vida, sua arte, sua cultura, seu país e sua história.1
Eu me chamo Florentino Flora Gomes, nasci no meio das matas da Guiné chamada a Guiné Portuguesa, como Florentino. Eu sou um homem africano, um simples africano, inspirado por Amílcar Cabral. Eu vim de uma família muito pobre. A irmã mais velha de minha mãe quem realmente me ajudou, pois os meus pais não tinham condições. Amílcar Cabral mudou o meu percurso de vida. Um gigante com quem eu vivi bons momentos e praticamente foi como meu pai, que me mandou estudar cinema em cuba… Infelizmente, quase todos grandes líderes foram assassinados pelo colonialismo ou pelo imperialismo. Pena que Cabral não teve tempo, não teve tempo de falar…Calaram a voz de Cabral, no entanto, já era tarde, pois já tínhamos muitos “Cabrais”.
Eu saí de Cuba e fui para o Senegal, terra do maior cineasta africano, Ousmane Sembène (1923-2007), fazer estágio com outro grande cineasta africano, Paulin Vieyra (1925- 1987). Para se ter uma ideia da grandeza de Cabral, ele já conhecia o trabalho destes homens e sabia que tínhamos que aprender com eles, para que fossem os guineenses, cabo-verdianos ou africanos a filmarem a luta de independência, a contarem as nossas próprias histórias. Sem excluir outros cineastas que filmaram a luta de independência, inclusive a convite do próprio Cabral. E nós (eu, Sana Na N’Hada, Josefina Crato e José Bolama), há 50 anos, andámos pela fronteira de Conacri e nos lugares das lutas da Guiné, ainda portuguesa, até setembro de 1974, quando Portugal reconheceu a nossa independência. E nós temos muito orgulho e consciência do reconhecimento e da grandeza de ter participado da história do cinema, de sermos citados quando se fala do cinema da Guiné-Bissau e do cinema africano, principalmente, por termos feito o primeiro filme coletivamente da Guiné-Bissau O regresso de Cabral (1976).
Cabral é muito importante para minha vida e para a história do meu país. Cabral não queria fazer a guerra. Ele não era uma pessoa de guerra. Cabral tinha formação, tinha emprego, tinha família, mas escolheu entregar sua vida pela luta, pela independência. Há pessoas que não viram ou não querem ver o que Cabral fez por nosso país… Não conhecem as cartas de Cabral tentando convencer os colonialistas sobre a necessidade da independência, que foram sempre ignoradas pelos governantes portugueses.
Cabral morreu porque não gostava de violência. Cabral acreditava no homem novo. Todo mundo sabe que antes, e mesmo depois da guerra, não havia profissionais formados e/ou qualificados na Guiné. O país começou a guerra com 99% da população analfabeta. Hoje temos profissionais e estes devem se sentir orgulhosos dos homens e mulheres que fizeram essa luta. O nosso povo construiu uma história tão linda. Proclamamos unilateralmente em setembro de 1973 o Estado, que hoje se chama Guiné-Bissau. No ano seguinte, aconteceu o 25 abril e no outro dia, nas matas da Guiné, combatentes guineenses e portugueses já se abraçavam. Não havia sinal de medo do retorno da guerra. O que demonstra o pensamento de Cabral: combatemos contra o colonialismo português, não contra o povo português.
A geração que está aí é muito mais bem preparada educacionalmente, pelo menos mais do que a minha. Estão a escrever… Estão a compreender o porquê foi necessário fazer aquela guerra e travando outras guerras. Talvez, os que dizem que Cabral não precisava fazer a guerra, sabiam que Portugal de alguma forma (que não sei qual), um ano depois, iria reconhecer o Estado da Guiné-Bissau pela força das vozes do mundo… Pensem que mesmo ganhando a guerra, o governo português só reconhece a independência um ano depois, mesmo que mais de 80 países tenham reconhecido o novo Estado da Guiné-Bissau, mesmo sendo incontornável. Os combatentes portugueses sabiam que tinham perdido a guerra. Eu estou te contando a história que eu vivi. Eu estive nas matas da Guiné. Ganhamos a guerra contra o colonialismo português.
No entanto, minha missão com Cabral e a Guiné-Bissau não terminou ainda, pois é uma missão ingrata. A missão de fazer uma coisa e quem deveria ver não está presente. Eu ainda espero a crítica deste grande homem… Eu tenho consciência de que é uma missão difícil por ser cineasta e africano. Mas também é uma grande responsabilidade estar a contar histórias. Os jovens hoje dizem: “Cabral é tão presente”. Eu respondi que Cabral é um homem que veio para ficar, porque nós não mudamos. Na verdade, é uma luta ainda. O discurso de Cabral é para África, é para Guiné-Bissau e para o mundo… Cabral era um visionário. Estou inclusive tentando terminar um documentário sobre a memória do Cabral no mundo contemporâneo… Como muitos cineastas, encontro-me buscando financiamentos…
Depois de realizar alguns filmes em codireção, eu tinha uma ideia de fazer um documentário sobre a luta de independência, porque não acreditava que poderia realizar uma ficção, mas como as histórias não começam da mesma maneira, por isto que as histórias são interessantes de ler e de ouvir, não só ler. E não posso me esquecer que eu vim de um povo, que a tradição oral é muito forte. Então, eu fui pesquisar e ler mais sobre a luta, que era um tema que eu conhecia, e desenvolvi a personagem Diminga (interpretada pela Bia Gomes) e escrevi o roteiro do Mortu nega (1988). É um filme que fala da luta do passado, do presente e do futuro, mas também da luta que foi fazer um longa-metragem de ficção, o primeiro do meu país. É um filme que conta a minha história, a história do meu povo, da nossa luta diária para viver e, sobretudo, na nossa língua crioula e nossa cultura, que tanto me inspiram.
Há coisas que eu não consigo escrever, eu penso na imagem. Em como ficaria na tela. No meu segundo longa-metragem Udju azul di Yonta (1992), eu escrevi que as crianças vinham correndo com os pneus, brincando na rua e cada pneu trazia uma história. E o produtor disse que assim não podia ser. Eu respondi que não estava ali para dar satisfação a ele… Aí, quando ele voltou e já estávamos no final do filme, na montagem, eu já tinha a banda sonora comigo e nós começamos a ver o filme e inserir o som. Quando ele chegou em Lisboa (local da montagem do filme), perguntou: “Então, Flora este filme vai acabar?”. Eu respondi que a única certeza que tinha era que o filme estava selecionado para o Festival de Cannes. E ele insistia que deveria retirar os pneus. Eu só disse que o senhor não deve dizer-me o que eu vou fazer, não aceito… Eu não paro muito tempo na sala de edição, eu digo o essencial, o que quero e pronto, se não fica do jeito que “pintei” na minha mente peço para fazer novamente… Quando o filme começou e a música de abertura Bissau kila muda entrou, com uns 5 minutos de filme, ele pediu para parar e disse: “Flora por que não me dissestes que o filme era isto?”.
Por fim, eu lhe disse que Udju azul di Yonta é a ruptura de uma geração que fez a luta e uma outra geração que quer viver a vida deles e não precisam estar aí a cantar ou gritar seus ideais. É um confronto de gerações. O filme é realizado no momento pós-colonial. Tudo isto é para dizer que os produtores devem ter respeito com os cineastas, pois eles querem dinheiro para fazer os filmes, mas não querem que lhe digam como fazer. Estes não devem ficar a pôr ideias ao cineasta…
É preciso dizer que cada pneu leva uma data histórica da Guiné-Bissau: 1973 - independência unilateral; 1974 - 25 de abril e reconhecimento da independência; 1980 – Golpe de Estado; e 2000 –que futuro para Guiné-Bissau? (Figura 2). E o futuro sobre o qual me questionei no filme, não foi dos melhores, pois nos anos 2000 tivemos mais um golpe, novas tendências políticas e religiosas começaram a aparecer, por isso Udju azul di Yonta foi um marco por propor um novo olhar sobre a política pós-colonial e uma nova escrita cinematográfica no cinema africano.
Figura 2
Um filme completamente diferente do meu primeiro filme Mortu nega, que era carregado, pesado, como o próprio custo da independência, mas que no fim fomos todos banhados pela alegria, magia e energia da chuva para uma nova geração, que um dia eu sonhei que seria mais bem preparada. Uma geração que não teria complexo de nada, talvez, com um pouco mais de preparação, mas que não eram patriotas. Hoje eu posso dizer isso, que não eram patriotas, porque é uma geração que me surpreendeu pela negatividade. Claro que não posso generalizar, mas penso que um dia farei um filme, no qual possa falar de coisas mais encorajadoras.
No filme Po di sangui (1996), eu quis chamar a atenção do mundo sobre as questões climáticas, a partir do meu pequeno país. Um grito do sobre o que estamos fazendo com o local onde vivemos, da relação o homem e a natureza. Como já disse, eu posso não encontrar palavras para descrever as belezas do mundo, mas consigo transformar em imagem. Aquela cena do leite, da cabaça de leite, do filme Po di sangui, do leite derramando na terra, como se fosse a metáfora da amamentação da terra (Figura 3).
Figura 3
É um contraste entre a terra e o leite. Eu lembro da exibição desse filme em Cannes. A plateia em silêncio e depois emocionada. A Bia Gomes, uma das protagonistas do filme, também chorou na exibição. Quando estou no momento de criatividade é quando estou apaixonado por qualquer coisa. Eu tenho que estar viajando ou pensando alguma coisa que não sei o que, ou quando estou no meu carro a conduzir, tenho muitas ideias. Eu, às vezes, tomo nota, mas já me aconselharam a gravar as ideias.
Em Nha fala (2002) é o “desencanto” da celebração do lugar de Cabral no pensamento do homem. Mostrei que o pensamento, as ideias de Cabral incomodavam os que governavam. E eu escolhi o gênero comédia, porque nela você pode dizer coisas sérias, e no musical, você pode esconder as coisas graves nas letras das músicas. Como na música da letra da música “Ousar” do filme Nha fala: “temos que ousar”. Eu sou muito ousado. Se calhar, é porque vim de um país ainda em construção constante, que, muitas vezes, aparece nas notícias como a pior coisa que há no mundo, por isso sou essa pessoa ousar por tentar construir uma nova imagem do meu país.
Já o Republica di mmininus (2011) é sobre a nossa luta, para que as pessoas não fiquem eternamente no poder, qualquer que seja o sistema de governo, precisamos transferir o poder para os mais novos. É o mundo que eu sonhei, do mosaico em que não há cores, nem diferenças entre tamanhos dos homens. No filme, os óculos de Cabral, são os óculos do futuro, que as crianças precisavam desses óculos para ver o futuro. Penso que essa é a razão. São só vivências, nada do outro mundo (Figura 4).
Figura 4
Sou um homem com os pés na terra, com a cabeça erguida. Escolhi as crianças porque são as mais puras. Não estão ainda contaminadas, não sei até quando… mas elas são minha esperança, todavia como tudo passa pelo ambiente, quando este não está em condições adequadas, sãs, os miúdos que também serão contaminados. Aí está a tragédia da humanidade. Embora, ainda acredite que as crianças são o futuro a humanidade.
Dito isto, posso afirmar que os meus filmes fazem parte da memória histórica da Guiné- Bissau e poderão não aparecer na galeria da memória histórica do mundo, mas os filmes que eu faço são essencialmente para homenagear todo o povo, que lutou a favor da Guiné, inclusive para quem lutou contra, pois busco sempre mostrar nos meus filmes concórdia e reconciliação de todos, falando dos acontecimentos do meu país, de esperança e da nossa cultura, língua e identidades.
Por vezes, eu sou confundido com mulheres em hotéis e eventos, talvez, seja por isso que nos meus filmes as mulheres são protagonistas. E fico muito feliz em tê-las nos meus filmes. As mulheres têm um percurso na nossa vida. Cada vez que lembro das dificuldades da minha mãe… é uma forma também de rende-lhe homenagem. Mas também é uma forma de homenagear a minha companheira, a minha mulher, que, mesmo estando distante de mim, eu sinto a sua presença da maneira como ela me tem estado a apoiar e acho que é a melhor maneira de render-lhe homenagem é falar dela assim, de iluminar o nome dela.
As mulheres guineenses vivem numa luta constante, como as bideiras (vendedoras do mercado e nas ruas), a força motora da economia informal da Guiné-Bissau, do meu país. Das mulheres que vendem tecido nas ruas, das meninas que fazem trança na praça, das crianças, que com o olhar, convidam-te para ajudá-las a ter um futuro. Não há ninguém que não se comova com este olhar. Elas carregam as frutas de um lado para outro. Essas crianças querem ser como você… Querem viajar, querem falar outras línguas, para poderem ter acesso aos grandes concertos de sabedoria do mundo, disponível na internet… E é assim que elas são homenageadas nos meus filmes.
Sobre cinema africano, não sei se tenho uma opinião sobre o termo, pois até hoje não fabricamos câmeras ou material ainda para chamar “a câmera africana”. Eu sei que há filmes francês, italiano, português, espanho, alemão, belga. Eu penso que o filme é dado nome ao país pelo estilo do cineasta ou pela época do filme. Se calhar, é porque fazemos filmes que os críticos ainda não perceberam, que eles deveriam chamar o filme do Senegal, de realizadores como Ousmane Sembène; filmes do Mali do realizador como Souleymane Cissé. Poderíamos até dizer o filme africano, mas não é importante o carimbo que nos dão. O mais importante é o que nós fazemos, a mensagem que deixamos passar. A África que queremos pintar diferente da pintura, que eles pintaram e nós estamos pintando. Por vezes, a pintura da “loucura”, por insistir em fazer cinema na Guiné-Bissau.
Eu não sou um cineasta por vocação. Minha profissão foi indicação do Cabral, mas acho que por uma curiosidade minha, acabei por ser preso nela e por uma coisa que eu não conhecia… a arte. Os meus filmes têm sempre um cunho político e isso incomoda. Mas é uma luta. Eles (cinéfilos, críticos, teóricos) vão acabar por aceitar que nós (cineastas e africanos) existimos. Eles têm que mudar de percepção, da grandeza e do tamanho e da qualidade das imagens que vem do mundo, que eles construíram nas suas mentes. Eu faço filmes para serem vistos. Se fossem somente para festivais, os filmes não seriam exibidos nas salas comerciais. Todos os meus filmes saíram nas salas comerciais. Podem não ficar muito tempo, porque incomodam a sociedade comercial, baseada na bilheteria.
Eu já fiz filme para o meu país, para os jovens, para meus filhos, hoje tenho que falar para os meus futuros netos. Isto é uma luta constante, embora eu não esteja amarrado a luta de libertação, mas ela me inspira. Eu tenho olhos no século XXI e não quero que a Guiné-Bissau fique fora do jogo desse século. De sermos africanos, sermos do mundo, ser o que somos e sem esquecer a nossa pertença. Sinto-me muito feliz por ser cineasta e carrego a responsabilidade de ser um modelo para os jovens do meu país e do mundo, o que me leva a pensar no futuro, pois essas pessoas estão a minha espera de mais um trabalho de reflexão sobre a nossa sociedade e tenho certeza, que eles sabem que não é nada fácil fazer um filme. O cinema é caro. Caro em todos os países do mundo e para o nosso país ainda é mais complicado. Isso para mim é a razão de continuar a fazer filmes, a cantar, a pintar… E sigo homenageando todos os criadores do meu país.
Bem, eu sigo vivendo no meu pequeno país, que tanto me inspira. Sempre descobrindo a literatura, o cinema, a história de outros povos, civilizações, sem estabelecer hierarquias ou juízo de valor, porque não existe nenhuma cultura e arte maior do que a outra. É uma questão de percepção e de abrir o espírito e aceitar as diferenças que há entre as culturas, as artes e as histórias… Como proponho na letra da música “Ousar” do Nha fala: “Ke k no tem ke fassi pa no sedu igual i ao mesmo tempo diferente tambi”. (“Que temos que fazer para sermos iguais e diferentes ao mesmo tempo”). Continuam e vão continuar. Desde que haja na nossa mente que o outro é diferente, que está ao meu lado, mas que somos obrigados a viver juntos. Iguais na diferença. Essa é a nossa luta no mundo. Pode ser entendido como utópico, mas é por isso que nós sonhamos… Temos que sonhar, pode até não ser certo, mas precisamos continuar sonhando. Aí de um país em que o povo é proibido sonhar…
Mantenhas!
1 O texto foi escrito por Jusciele Oliveira, que tem tese escrita sobre a obra do cineasta.